L’effet de l’oxygénothérapie à haute concentration sur la PaCO2 dans les troubles respiratoires aigus et chroniques

Les risques associés à l’oxygénothérapie à haute concentration dans les exacerbations aiguës de la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) ont été signalés il y a plus de 50 ans. Depuis lors, il a été démontré que l’oxygénothérapie à haute concentration peut provoquer une augmentation de la PaCO2 à la fois dans les BPCO stables et dans les exacerbations de BPCO, et que chez certains patients, l’effet peut être à la fois rapide et marqué avec une augmentation de la PaCO2 de >20 mmHg en 60 minutes. L’importance clinique de cet effet est évidente dans le récent essai contrôlé randomisé (ECR) qui a démontré que dans les exacerbations aiguës de la BPCO, l’oxygénothérapie à haute concentration dans le cadre préhospitalier augmente significativement la mortalité par rapport à un régime titré pour atteindre des saturations artérielles en oxygène entre 88% et 92%. Chez les patients atteints de BPCO confirmée qui ont reçu des traitements d’oxygénothérapie conformément au protocole, la PaCO2 était 34 mmHg plus élevée dans le groupe oxygénothérapie à haute concentration (tableau 1).

Tableau 1 Oxygénothérapie à haute concentration versus oxygénothérapie titrée en milieu préhospitalier chez les patients atteints de BPCO confirmée

Les principaux mécanismes responsables de l’augmentation de la PaCO2 avec l’oxygénothérapie à haute concentration sont une réduction de la pulsion respiratoire et une aggravation du décalage ventilation/perfusion due à la libération de la vasoconstriction pulmonaire hypoxique. L’inadéquation ventilation-perfusion est également une anomalie prédominante des échanges gazeux dans d’autres troubles respiratoires aigus tels que l’asthme et la pneumonie, le degré d’inadéquation s’aggravant avec l’administration d’oxygène. En conséquence, on pourrait s’attendre à ce que l’oxygénothérapie à haute concentration provoque une augmentation de la PaCO2 dans l’asthme sévère et la pneumonie, similaire à son administration dans les exacerbations aiguës de la BPCO.

Récemment, une série d’ECR a démontré que l’oxygénothérapie à haute concentration entraîne une augmentation significative de la PaCO2 ou de la tension transcutanée du dioxyde de carbone (PtCO2) chez les patients présentant des exacerbations sévères de l’asthme. L’importance clinique de cet effet physiologique est suggérée par l’observation que 10 % des patients randomisés pour une oxygénothérapie à haute concentration présentaient une augmentation de la PtCO2 de ≥10 mmHg et une PtCO2 ≥45 mmHg après 60 minutes de traitement, alors qu’aucun patient recevant une oxygénothérapie titrée pour maintenir les saturations artérielles en oxygène entre 93 et 95 % ne présentait cette réponse (Figure1). Dans un ECR similaire, il a également été démontré que l’oxygénothérapie à haute concentration augmentait la PtCO2 chez les patients présentant une pneumonie communautaire, par rapport au régime d’oxygénothérapie titrée qui évitait à la fois l’hypoxie et l’hyperoxie. Les risques relatifs triplés et sextuplés d’une augmentation de la PtCO2 d’au moins 4 mmHg et d’au moins 8 mmHg respectivement, suggèrent que cet effet peut potentiellement avoir une signification physiologique et clinique (tableau 2).

Figure 1
figure1

Les niveaux de pression partielle transcutanée de dioxyde de carbone (PtCO 2 ) au départ et après 60 min d’oxygène à haute concentration (cercles ouverts) ou titré (cercles remplis) chez des patients se présentant aux urgences avec une exacerbation sévère de l’asthme. Reproduit de la référence.

Tableau 2 Proportion de patients atteints de pneumonie communautaire avec une augmentation de la PtCO 2 par rapport à la ligne de base après 60 minutes d’oxygénothérapie à haute concentration ou titrée

L’insuffisance respiratoire chronique peut également se produire dans d’autres troubles respiratoires chroniques tels que le syndrome d’obésité hypoventilation, on pourrait donc s’attendre à ce que l’oxygénothérapie à haute concentration puisse provoquer une rétention de CO2 dans cette condition, similaire à celle de la BPCO stable. Cet effet physiologique a récemment été démontré dans un essai randomisé contrôlé par placebo portant sur l’oxygène à 100 % et l’air ambiant chez des patients atteints du syndrome d’obésité-hypoventilation et présentant une hypercapnie de base (Figure2). Le principal mécanisme responsable de l’aggravation de l’hypercapnie lors de la respiration d’oxygène à 100 % était une réduction de la ventilation minute, entraînant une hypoventilation alvéolaire. L’importance clinique de cet effet physiologique a été suggérée par la nécessité de mettre fin à l’étude chez un patient sur huit, en raison d’une augmentation de la PtCO2 ≥10 mmHg dans les 20 minutes suivant la réception de l’oxygénothérapie à 100 %.

Figure 2
figure2

Le changement de la PtCO 2 (mmHg) par rapport à la ligne de base après avoir respiré de l’oxygène à 100% ou de l’air ambiant chez des sujets atteints du syndrome d’obésité hypoventilation. Les lignes verticales représentent la moyenne (ligne horizontale centrale) ±1 SD pour 20 min de PtCO2 moins la ligne de base. Reproduit de la référence.

Il existe donc des preuves que le potentiel de l’oxygénothérapie à haute concentration pour augmenter la PaCO2 ne se limite pas aux exacerbations stables et aiguës de la BPCO, mais aussi à d’autres troubles respiratoires aigus avec des échanges gazeux anormaux tels que l’asthme et la pneumonie, et à des conditions respiratoires chroniques avec hypercapnie telles que le syndrome d’obésité hypoventilation. Ces preuves constituent la base des directives de consensus qui recommandent que l’oxygénothérapie soit titrée dans le cas de la BPCO et d’autres affections respiratoires, afin de s’assurer que les avantages maximaux de l’oxygénothérapie sont obtenus tout en réduisant le potentiel de dommages dus à l’hyperoxie.