Ulcération nasale auto-induite

L’ulcération nasale auto-induite est une affection peu courante et souvent difficile à diagnostiquer et à traiter. Les patients atteints d’ulcération nasale auto-induite peuvent être largement classés en 2 groupes : ceux atteints du syndrome trophique du trijumeau (STT)1-3 et ceux atteints du trouble factice (TF).

Le syndrome trophique du trijumeau est un trouble peu commun qui se caractérise par une ulcération dermatomique faciale auto-induite. La chirurgie ou la thérapie par injection d’alcool pour la névralgie du trijumeau précipite le plus souvent la triade caractéristique d’anesthésie du trijumeau, de paresthésie faciale et d’ulcération en croissant de l’alaire nasale.4 Le trouble factice avec ulcération peut être différencié du STT par la présence d’une sensation normale du nerf trijumeau et, fréquemment, par le déni de la manipulation de la lésion. Selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, quatrième édition, les critères du trouble factice avec ulcération comprennent la production intentionnelle de signes ou de symptômes physiques, la motivation à  » assumer un rôle de malade  » et l’absence d’incitations externes, comme un gain économique.5

Le STT et le trouble factice avec ulcération doivent être distingués d’autres processus nasaux infectieux, néoplasiques et granulomateux plus courants (tableau 1). Une biopsie des tissus et des tests de laboratoire (par exemple, l’anticorps cytoplasmique c-antineutrophile pour la granulomatose de Wegener, l’enzyme de conversion de l’angiotensine pour la sarcoïdose et la réagine plasmatique rapide pour la syphilis) doivent être envisagés afin qu’un traitement spécifique à la maladie puisse être initié.

Nous décrivons 5 patients atteints de SCT et 2 de FD pour sensibiliser les médecins au risque élevé de récidive d’ulcère après une reconstruction nasale. Les options de gestion des ulcérations nasales auto-induites sont également discutées.

MODES

On a examiné rétrospectivement sept cas qui ont présenté des ulcérations nasales auto-induites entre mars 1985 et octobre 1997. L’examen des dossiers médicaux des patients a porté sur l’âge, le sexe, le diagnostic, la raison du déficit sensoriel trigéminal, la maladie associée, les caractéristiques de l’ulcère, la récidive, les traitements chirurgicaux et le résultat de la chirurgie. Les photographies préopératoires et postopératoires ont été évaluées lorsqu’elles étaient disponibles.

RESULTATS

De mars 1985 à octobre 1997, 7 patients ont présenté une ulcération nasale. Tous les patients ont subi des tests de laboratoire et une biopsie pour exclure les processus malins, granulomateux ou infectieux. Il a été déterminé que chacun des patients présentait une ulcération nasale auto-induite. Cinq patients ont été identifiés comme souffrant de TTS et deux de FD. Les données démographiques des patients sont présentées dans le tableau 2. L’âge moyen était de 50 ans (fourchette d’âge, 16-77 ans). Le suivi moyen était de 48 mois (fourchette : 18-114 mois). Chez les 5 patients atteints de STT, l’ulcération initiale est apparue plusieurs mois à plus de 10 ans après l’événement ayant provoqué l’anesthésie faciale. Le délai moyen entre la présentation de l’ulcère nasal et la reconstruction était de 43 mois (de 4 à 72 mois). Tous les patients avaient une épithélialisation complète de leurs plaies avant la reconstruction.

Six patients (5 avec TTS et 1 avec FD) ont subi une reconstruction nasale ; 2 ont subi des reconstructions multiples. Cinq des 6 patients ont finalement développé des ulcérations nasales récurrentes après une moyenne de 14 mois (plage, 0,5-58 mois).

Le déficit sensoriel du trijumeau, qui a été identifié chez les 5 patients atteints de TTS, résultait d’un accident de la route (n = 2), de l’ablation du nerf trijumeau (n = 2) et d’une blessure au combat (n = 1). Aucun défaut sensoriel identifiable n’a été observé chez les 2 patients présentant une ulcération due à une FD. Des anomalies oculaires ipsilatérales ont été identifiées chez 4 des 5 patients atteints de TTS.

Des conditions psychiatriques supplémentaires ont été identifiées dans notre population de patients. Les deux patients atteints de FD étaient traités pour dépression, et un autre pour dépendance aux narcotiques. Un patient atteint de TTS avait déjà subi un traitement pour dépendance à l’alcool.

Rapport de 3 cas

Cas 1

Un homme de 36 ans a été adressé pour la reconstruction d’une perforation septale et d’un défaut alaire nasal gauche qui avaient été traités de manière conservatrice par son dermatologue pendant 4 ans (figure 1A). Une anesthésie hémifaciale gauche et d’autres neuropathies crâniennes ont résulté d’un accident de la route. Une reconstruction nasale en trois couches a été réalisée avec un lambeau de retournement épithélial, du cartilage conchal et un lambeau frontal paramédian. Les photographies prises 18 mois après la chirurgie ont révélé une reconstruction adéquate sans récidive d’ulcération lors de la dernière visite de suivi (figure 1B).

Figure 1. Un homme de 36 ans atteint du syndrome trophique du trijumeau avant (A) et 18 mois après (B) une reconstruction nasale à 3 couches. La récidive de l’ulcère nasal ne s’est pas développée.

CAS 2

Une femme de 76 ans s’est présentée avec une anesthésie hémifaciale, une paresthésie nasale, une cicatrice cornéenne et un défaut alaire nasal épithélialisé. Pendant 15 ans, la patiente a souffert de névralgie du trijumeau et de douleurs faciales incessantes. Les tentatives de traitement comprenaient l’injection d’alcool et l’ablation du ganglion trigéminal par radiofréquence, ainsi qu’une craniotomie sous-occipitale avec décompression microchirurgicale des nerfs. Une reconstruction nasale a été réalisée avec succès à l’aide d’un lambeau mélolabique à base supérieure. Vingt-cinq mois plus tard, une excoriation nasale droite auto-induite a été identifiée, et le patient n’est pas revenu pour le suivi. Trois ans plus tard, une reconstruction nasale réalisée ailleurs a également entraîné une récidive de l’ulcère nasal.

CAS 3

Une femme de 59 ans a présenté un prurit, une épistaxis et une déformation nasale sévère qui s’était développée après qu’elle ait subi une septoplastie 16 ans auparavant. Les croûtes nasales et l’érosion auto-induite ont été traitées par des soins locaux, et une prothèse nasale a été utilisée avec succès. Pendant cette période, la patiente a suivi un traitement contre la douleur chronique et une consultation psychiatrique. Malgré l’aspect satisfaisant de la réhabilitation prothétique, le patient a insisté pour une reconstruction nasale. L’ulcération est réapparue 12 jours après la réalisation d’une reconstruction nasale en 3 couches.

COMMENT

Loveman7 et McKenzie8 ont décrit pour la première fois le STT en 1933. L’ulcération caractéristique de l’ala nasale latérale en forme de croissant est associée à une anesthésie du nerf trijumeau et à une paresthésie faciale. Cette triade se développe le plus souvent après une ablation chimique ou chirurgicale de la racine sensorielle du trijumeau dans le ganglion de Gasser. La triade caractéristique est également présente chez les patients présentant une atteinte traumatique du trijumeau. Weintraub et al9 ont décrit 63 cas de STT, dont la majorité a été causée par une ablation chirurgicale du trijumeau (46 %) et une injection d’alcool (29 %) dans le ganglion de Gasser. Les autres cas ont été causés par des troubles vasculaires cérébraux et des infarctus, un neurinome acoustique, un parkinsonisme postencéphalitique et une syringobulbie.

Les lésions nasales auto-induites résultent souvent d’un traumatisme digital persistant. Les plaintes de congestion nasale ipsilatérale, de brûlure et de prurit sévère peuvent précipiter les défauts nasaux auto-induits.1 Une sensation particulière localisée à la zone nasale affectée a été décrite comme « des choses qui rampent sous la peau » qui créent l’envie de gratter la zone.10 La pathogénie de ces paresthésies nasales a été suggérée comme étant liée à un chevauchement des entrées sensorielles des distributions ophtalmique et maxillaire du nerf trijumeau perturbé.11 Cette théorie est soutenue par la présence de l’érosion alaire caractéristique en forme de croissant à la jonction de ces dermatomes. Une autre théorie suggère que le contrôle vasomoteur autonome est altéré lorsque l’innervation sympathique est modifiée par une lésion du nerf trijumeau, ce qui entraîne des conditions de cicatrisation défavorables en raison de la vasodilatation, de la stase veineuse et de l’hypothermie.12 La peau de l’extrémité nasale est généralement épargnée par l’ulcération et innervée séparément par la branche ethmoïdale externe de la division ophtalmique9.

L’incidence rapportée du STT après une thérapie chirurgicale ou par injection pour la névralgie du trijumeau varie de 0% à 16%.13,14 L’intervalle entre le déficit sensoriel et l’ulcération a été rapporté comme allant de 2 semaines à 23 ans.9,15,16 Cette large gamme est cohérente avec les résultats de nos 5 cas de STT.

La neuropathie du trijumeau après une blessure crânienne non pénétrante est une complication rare. Anatomiquement, le ganglion de Gasser est le site le plus vulnérable de la lésion traumatique du nerf trijumeau en raison de son emplacement fixe dans la grotte de Meckle.17 C’est le même site anatomique qui est ciblé lors de l’injection d’alcool ou de la rhizotomie du trijumeau et qui peut suggérer le mécanisme du STT chez les 3 patients ayant subi un traumatisme facial antérieur dans notre série.

Les lésions oculaires associées au STT comprennent la kératite neurotrophique, l’iritis, l’ulcération et l’opacification de la cornée. Normalement, l’entrée sensorielle du nerf trijumeau dans la cornée favorise l’épithélialisation de la cornée par un effet trophique. L’absence de cet effet peut entraîner une altération de la cicatrisation et de l’ulcération de la cornée.18 En 1954, Sigelman et Friedenwald18 ont suggéré l’importance de cet effet neurotrophique en décrivant des changements cornéens persistants dans un modèle animal de kératite neurotrophique, même après la réalisation d’une tarsorrhaphie pour protéger les yeux des animaux de l’exposition de la cornée. Des essais en cours étudient les avantages du traitement des patients par des neurotrophines telles que les facteurs de croissance épithéliale.19 Par ailleurs, l’insensibilité de la cornée, la diminution du larmoiement et l’absence de réflexes cornéens peuvent contribuer à une irritation oculaire sèche et indolore. Quatre de nos 5 patients atteints de TTS présentaient des lésions cornéennes ipsilatérales, ce qui suggère que la consultation ophtalmologique devrait faire partie intégrante de l’évaluation des patients atteints de TTS. Les lésions oculaires n’ont pas été identifiées chez les patients atteints de FD.

Les conditions psychiatriques des patients souffrant d’ulcérations auto-induites vont de la névrose à la psychose, et même à la simulation, dans laquelle les lésions sont consciemment produites pour obtenir un gain secondaire consciemment désiré. On pense que le trouble factice se situe quelque part entre la névrose et la psychose.20 Ces conditions chez les patients atteints de maladies factices rendent le traitement difficile. Les patients ont souvent fait l’objet de multiples évaluations antérieures par des médecins de différentes spécialités. Ces patients sont généralement manipulateurs et dépendants et nient toute responsabilité dans les lésions qu’ils ont eux-mêmes provoquées. Ce comportement peut susciter un sentiment de frustration chez le médecin traitant mais peut l’orienter vers un diagnostic de DF. Des facteurs de stress psychologique excessifs sont également fréquemment présents chez les patients atteints de DA et peuvent servir de déclencheur à la manipulation des lésions.21

La plupart des psychiatres recommandent aux médecins non psychiatriques de maintenir une relation de soutien et de prudence avec le patient atteint de DA afin de développer et de conserver la confiance.22 Il ne faut pas tenter une intervention psychologique, mais plutôt la reléguer à un professionnel de la santé mentale. Les tentatives d’amener le patient à comprendre et à accepter sa culpabilité peuvent conduire à un déni véhément et à l’arrêt des soins du médecin.23

Les traitements antérieurs du STT comprenaient des médicaments psychotropes, la radiothérapie,7 la stimulation électrique transcutanée,12 et même la ganglionectomie stellaire.8 Initialement, la lésion nasale doit être traitée par des soins locaux de la plaie, y compris une antibiothérapie topique et systémique lorsque cela est indiqué. L’utilisation de bandages pour les doigts et de gants de protection a été suggérée pour prévenir la manipulation digitale.2 Des plâtres ou des prothèses nasales, qui peuvent également être utilisés pour minimiser la manipulation inconsciente de la lésion nasale, ont été utilisés chez 2 de nos patients.

Si un traitement chirurgical de l’ulcération nasale du STT est envisagé, il doit être limité aux plaies qui ont guéri avec des soins conservateurs et l’arrêt de la manipulation. Abyholm et Eskeland16 ont recommandé l’utilisation de lambeaux sensoriels contralatéraux, tels qu’un lambeau frontal paramédian tunnelisé, pour dissuader l’auto-manipulation. Malgré leur recommandation, la récurrence des ulcères reste élevée et a été observée jusqu’à 3 ans après la reconstruction nasale.16,24 Dans notre série, les 5 patients atteints de STT ont subi une chirurgie reconstructive. Quatre d’entre eux ont finalement développé une ulcération nasale récurrente de 1 à 58 mois après la chirurgie, une fourchette qui correspond à celle rapportée dans la littérature. Le taux élevé de récidive après une reconstruction chirurgicale souligne la nécessité d’un conseil préopératoire approfondi au patient et d’une forte considération de l’intervention non chirurgicale.

L’intervention chirurgicale en cas de FD est contre-indiquée jusqu’à ce que la plaie soit épithélialisée et que le patient ait été évalué et autorisé par un professionnel de la santé mentale. Dans notre série, nous avons refusé l’intervention chirurgicale chez un patient atteint de FD et effectué une reconstruction nasale totale chez l’autre patient seulement après que l’ulcération soit restée épithélialisée et sans manipulation pendant une période d’un an (figure 2A). Pendant cette période, la patiente a porté à contrecœur une prothèse nasale (figure 2B). Malgré le retard de la reconstruction, elle a développé une ulcération nasale récurrente auto-induite 2 semaines après la chirurgie (Figure 2C). L’infirmière à domicile a signalé une manipulation nasale compulsive. Les sites donneurs de l’oreille et du front présentaient également des signes de manipulation. Trois mois après la reconstruction, la patiente a continué à nier la manipulation de ces sites et n’était pas disponible pour le suivi.

Figure 2. A, Une femme de 59 ans souffrant de troubles factieux après un traitement avec des soins locaux de la plaie et l’évitement de la manipulation pendant 1 an. B, résultat esthétique satisfaisant avec une prothèse nasale. C, Déhiscence de plaie auto-induite développée 12 jours après la reconstruction nasale totale.

CONCLUSIONS

Les ulcérations nasales auto-induites sont des lésions difficiles à diagnostiquer et à traiter. Le syndrome trophique du trijumeau est un trouble peu fréquent qui se caractérise par une anesthésie du trijumeau, une ulcération de l’alaire nasale et une paresthésie faciale. L’apparition d’un ulcère caractéristique après l’ablation du trijumeau est un élément diagnostique. Des signes oculaires associés peuvent également être présents et doivent être évalués par un ophtalmologiste. Une biopsie peut fournir des informations importantes pour exclure d’autres causes.

Les lésions nasales auto-induites dans la FD se distinguent principalement des lésions nasales du STT par une fonction normale du nerf trijumeau et le déni fréquent par le patient de la manipulation des lésions. Ce trouble rare doit être traité principalement par un traitement psychiatrique et des soins locaux des lésions. Nous recommandons fortement les prothèses nasales comme principal moyen de correction esthétique et décourageons la réparation chirurgicale chez le patient atteint de DA. Si une correction chirurgicale doit être effectuée, une autorisation psychiatrique est nécessaire, mais ne garantit pas le succès à long terme. La reconstruction chirurgicale peut être envisagée chez les patients très motivés souffrant de STT ; cependant, la récidive tardive de l’ulcère chez ces patients est fréquente.