PRESENTATIONS DES NEUROPATHIES FOCALES
Ces dernières peuvent être largement divisées en lésions aiguës et celles d’apparition plus insidieuse. L’approche clinique de chacune d’elles diffère.
Déficit aigu
La cause d’une lésion aiguë est souvent directe et identifiable à partir de l’anamnèse – par exemple un traumatisme, une lacération, une intervention chirurgicale ou des injections. Parfois, elle peut être facilement déduite – par exemple, une période d’inconscience (anesthésique ou autre), un état post-ictal, et un coma dû à une intoxication médicamenteuse ou alcoolique. Ces éléments soulèvent la possibilité d’une compression nerveuse externe prolongée, les nerfs cubital, sciatique, péronier commun et fessier étant particulièrement vulnérables. Chez les patients atteints de neuropathies focales aiguës, l’objectif clinique est d’optimiser la récupération et d’évaluer le pronostic.
Un déficit spontané aigu qui se développe sur un site qui n’est pas un site commun de compression externe suggère fortement une lésion nerveuse intrinsèque, par exemple un infarctus. Une recherche de preuves d’une neuropathie multifocale, particulièrement vasculaire, doit être entreprise (voir Willison et Winer4).
Si la lésion est traumatique, quelle qu’en soit la cause, tout ce qui pourrait poursuivre ou aggraver la lésion nerveuse doit être identifié et éliminé. Il s’agit par exemple de facteurs locaux tels qu’une compression continue due à un hématome local ou à des syndromes de compartiment (ce qui peut nécessiter une imagerie du site de compression avec une décompression opportune) ainsi que des facteurs systémiques tels que l’hypoxie et l’hyperglycémie.
La prise en charge ultérieure dépend du type de lésion nerveuse. Si la lésion est une neuropraxie ou une axonotmèse et que la cause du dommage nerveux est supprimée, il y aura une récupération spontanée. Ce schéma peut parfois être reconnu cliniquement, lorsqu’une lésion nerveuse est incomplète et qu’il existe une certaine puissance, aussi faible soit-elle, qui indique que le nerf est en continuité. Le même phénomène peut être constaté sur le plan neurophysiologique en mettant en évidence des unités uniques sous contrôle volontaire sur l’électromyélogramme (EMG).
Cependant, un nerf qui ne présente aucun signe clinique ou neurophysiologique de fonction motrice active peut tout de même avoir subi une neuropraxie sévère ou une axonotmèse et de façon aiguë, on ne peut le distinguer d’une neurotmèse. Il s’agit d’une distinction très importante, car une neurotmèse ne se rétablira pas à moins que les nerfs ne soient suturés ou greffés. La seule façon de les identifier de manière fiable est l’exploration chirurgicale. La nature de la blessure et la probabilité d’une neurotmèse doivent être prises en compte lorsqu’on envisage une exploration.
La physiothérapie pour maintenir la mobilité articulaire et l’ergothérapie pour améliorer la fonction et diriger l’utilisation d’attelles sont toutes deux importantes pendant la phase de récupération. Les douleurs névralgiques sont fréquentes et les médicaments modulateurs de la douleur tels que l’amitriptyline, la carbamazépine ou la gabapentine sont utiles.
Les lésions insidieuses
Il faut ici bien comprendre l’étiologie avant d’envisager un traitement. Les lésions insidieuses ont tendance à provenir d’un piégeage ou d’une compression interne, parfois associés à des facteurs qui augmentent la susceptibilité nerveuse ou à une compression externe répétée. Il faut examiner les antécédents à la recherche d’indices, en posant des questions directes sur les traumatismes antérieurs, les postures, les habitudes et les loisirs. Existe-t-il des symptômes en dehors de la distribution de ce nerf, suggérant un processus multifocal ou généralisé ? Y a-t-il des facteurs dans les antécédents qui pourraient rendre les nerfs plus vulnérables aux lésions – par exemple, une consommation excessive d’alcool, le diabète ? Y a-t-il eu auparavant des neuropathies focales suggérant une vulnérabilité aux paralysies de pression ?
Un examen neurologique minutieux doit rechercher en particulier des signes d’autres neuropathies focales ou d’une neuropathie plus généralisée. La neurophysiologie peut confirmer le site ou simplement soutenir le diagnostic de neuropathie focale et peut fournir des preuves d’une atteinte multifocale.
Examen complémentaire
Si l’histoire fournit une explication appropriée (par exemple, un traumatisme, une compression externe répétée) ou si le nerf est impliqué à un site commun de piégeage, alors aucun examen complémentaire peut être nécessaire. Si aucune explication n’est trouvée, en particulier si le nerf est impliqué dans un site inhabituel, des examens complémentaires sont alors indiqués. Ceux-ci visent à identifier des causes inhabituelles de piégeage ou de compression interne, telles que des tumeurs nerveuses ou des malformations vasculaires. L’imagerie par résonance magnétique du site d’atteinte doit être envisagée dans un premier temps. En même temps, il faut rechercher les facteurs qui pourraient rendre les nerfs plus vulnérables, y compris la recherche de neuropathies multifocales comme décrit ailleurs dans ce supplément.4 Si tout cela s’avère inutile, l’exploration du nerf peut être envisagée, selon le site et la gravité de la neuropathie focale. Si les études neurophysiologiques n’ont pas identifié de preuve directe d’une neuropathie focale, vous devez envisager d’autres sites/affections, comme les radiculopathies, dans le diagnostic différentiel. Celles-ci nécessiteront alors leurs propres investigations appropriées. Il est toujours utile de se demander si la neuropathie focale démontrée neurophysiologiquement est une explication adéquate du tableau clinique
Gestion des neuropathies focales aux sites communs de piégeage
Malgré le fait que ces problèmes soient très fréquents – par exemple, le syndrome du canal carpien a une prévalence de 3-5%5 – il y a encore des preuves limitées quant à la meilleure approche du diagnostic et de la gestion. Les difficultés proviennent, au moins en partie, de la définition des cas. Ces neuropathies focales ne sont pas présentes ou absentes mais constituent un spectre. Ceci peut être reconnu cliniquement et neurophysiologiquement. Un patient présentant des symptômes sensoriels ulnaires intermittents mineurs avec une réduction mineure du potentiel d’action sensoriel (PAS) ulnaire, et un patient présentant une main en griffe perdue et une perte sensorielle ulnaire dense et aucune réponse motrice et sensorielle du nerf ulnaire avec une dénervation, ont tous deux des neuropathies ulnaires focales mais peuvent difficilement être considérés comme ayant la même étendue de problème. En outre, l’histoire naturelle des neuropathies focales communes est mal comprise. De tels facteurs conduisent à des difficultés dans les études considérant à la fois le diagnostic et le traitement.
Syndrome du canal carpien
Identifier un patient atteint d’un syndrome du canal carpien sévère est relativement simple, reconnaître les degrés moindres l’est moins. Il existe un large éventail de signes cliniques pris pour étayer le diagnostic. La spécificité et la sensibilité des signes cliniques ont récemment été revues,6 tout comme la spécificité et la sensibilité des différentes méthodes d’évaluation neurophysiologiques.7 Cette approche est intrinsèquement difficile lorsqu’il n’y a pas de méthode de diagnostic « standard ». Il est intéressant de noter que les tests cliniques tels que les signes de Tinel et de Phalen ne se sont pas révélés être des prédicteurs utiles d’une anomalie neurophysiologique ; cependant, les diagrammes de la main, où le patient dessine et marque l’emplacement de ses symptômes d’engourdissement et de picotement (rapport de vraisemblance de positif (LR+) = 2.4, intervalle de confiance à 95 % (IC) de 1,6 à 3,5 ; LR de négatif (LR-) = 0,5, IC à 95 % de 0,3 à 0,7), le signe du poignet carré* (LR+ 2,7, IC à 95 % de 2,2 à 3,4 ; LR- 0,5, IC à 95 % de 0,4 à 0,8) et la faible abduction du pouce (LR+ 1,8, IC à 95 % de 1,4 à 2,3 ; LR- 0,5, IC à 95 % de 0,4 à 0,7) ont tous atteint une signification statistique. Le signe de la pichenette, qui consiste à faire bouger la main du patient pour améliorer les symptômes, est prometteur mais n’a fait l’objet que d’une seule étude (LR+ 21,4, IC à 95% de 10,8 à 42,1 ; LR- 0,1, IC à 95% de 0 à 0,1).6
Les revues Cochrane sur le canal carpien soutiennent l’utilisation de stéroïdes oraux, d’attelles, d’ultrasons, de yoga et de mobilisation de l’os carpien pour apporter un bénéfice à court terme dans les cas légers.8 Les injections locales de corticostéroïdes améliorent le résultat à un mois par rapport au placebo, et à trois mois par rapport aux stéroïdes oraux, mais aucun avantage n’a été démontré par rapport aux anti-inflammatoires non stéroïdiens et à l’attelle à deux mois.9 La chirurgie améliore le résultat par rapport à l’attelle,10 un résultat soutenu par une étude randomisée récente.11 Aucune technique n’est clairement supérieure à une autre.12
Donc, les patients souffrant d’un léger syndrome du canal carpien devraient essayer un traitement non invasif dans un premier temps, en particulier s’il existe un autre facteur tel qu’une grossesse ou une hypothyroïdie, puis passer à la décompression si les symptômes persistent. Les patients souffrant d’un syndrome modéré du canal carpien devraient probablement procéder directement à la décompression, bien qu’un essai d’attelle en attendant l’intervention chirurgicale puisse éviter une intervention. Il n’est pas clair si les patients présentant une compression sévère, une atrophie et une perte sensorielle dense bénéficient d’interventions chirurgicales. Un grand essai pragmatique est donc fortement nécessaire.
Autres nerfs
Bien que les lésions du nerf ulnaire au coude soient la deuxième neuropathie focale la plus fréquente, les conseils sur le traitement ne sont pas actuellement basés sur les résultats d’essais. Une gestion conservatrice visant à éviter les traumatismes répétés peut conduire à une résolution, en particulier si des antécédents de traumatisme récent ou de compression externe ont été établis. Les traumatismes plus anciens, qui entraînent une paralysie ulnaire « tardive », ont tendance à ne pas s’améliorer avec un traitement conservateur. Si le traitement conservateur échoue, une décompression chirurgicale peut être envisagée. Deux procédures sont couramment utilisées : une décompression simple dans le tunnel cubital ou une combinaison avec une transposition antérieure. Il n’existe pas d’études randomisées comparant ces procédures. Parfois, une cause inhabituelle de piégeage interne, telle qu’un ganglion ou un kyste, est découverte lors de l’opération. Encore une fois, une grande étude pragmatique est nécessaire.
Le nerf cutané latéral de la cuisse est couramment piégé dans le ligament inguinal. Comme les symptômes sont sensoriels et généralement tolérables, aucun traitement spécifique n’est nécessaire. L’identification et l’inversion de toute cause potentielle, en particulier la prise de poids récente, semble prudente.
Gestion des neuropathies focales aux sites de piégeage peu communs
Encore une fois, ces conseils reflètent l’expérience tirée des rapports de cas et des séries cliniques. Si aucune compression externe répétée n’est identifiée, il s’agit de patients chez lesquels des causes inhabituelles de piégeage interne doivent être envisagées et étudiées comme indiqué ci-dessus. En l’absence d’une cause systémique, en l’absence d’amélioration ou de progression, une exploration doit être envisagée.