Le mouvement des planètes
La réflexion grecque sur le mouvement des planètes commence vers 400 av. J.-C.. Eudoxe de Cnide a construit la première théorie grecque du mouvement des planètes dont on connaisse tous les détails. Dans un livre, Sur les vitesses (qui est perdu mais a été brièvement discuté par Aristote et Simplicius), Eudoxe considérait que chaque corps céleste était porté par un ensemble de sphères concentriques, qui s’emboîtent les unes dans les autres. Pour chaque planète, trois mouvements différents doivent être pris en compte, et Eudoxe propose de le faire avec quatre sphères. La révolution quotidienne vers l’ouest est prise en compte par la sphère la plus extérieure (1). La sphère 2, dont l’axe s’insère dans la sphère 1 avec un décalage d’environ 24°, tourne vers l’est pendant la période zodiacale de la planète (12 ans pour Jupiter, 30 ans pour Saturne). Le troisième mouvement est le mouvement rétrograde. Pour cela, Eudoxe utilise une combinaison de deux sphères (3 et 4). La planète elle-même se déplace sur le cercle équateur de la sphère 4. L’axe de la 4 s’insère dans la sphère 3 avec un léger décalage angulaire. Les sphères 3 et 4 tournent en sens inverse mais à la même vitesse. Le mouvement de la planète résultant des girations des sphères 3 et 4 est un huit, qui se situe dans la surface sphérique. Eudoxe a vraisemblablement compris les caractéristiques mathématiques de cette courbe, puisqu’il lui a donné le nom d’hippopède (fouet de cheval). L’ensemble des deux sphères 3 et 4 est inséré dans la surface intérieure de la sphère 2. Ainsi, les trois mouvements sont pris en compte, au moins qualitativement : le mouvement quotidien vers l’ouest par la sphère 1, le mouvement lent vers l’est autour du zodiaque par la sphère 2, et le mouvement rétrograde occasionnel par l’ensemble des deux sphères 3 et 4. La théorie d’Eudoxe est parfois appelée la théorie des sphères homocentriques, car toutes les sphères ont le même centre, la Terre.
À ce stade, les astronomes grecs étaient plus intéressés à fournir des comptes physiques plausibles de l’univers et à prouver des théorèmes géométriques qu’à fournir des descriptions numériquement précises du mouvement planétaire. Le successeur d’Eudoxe, Callippe, a apporté quelques améliorations au modèle. Néanmoins, les sphères homocentriques ont été critiquées pour leur incapacité à rendre compte du fait que certaines planètes (notamment Mars et Vénus) sont beaucoup plus lumineuses à certains moments de leur cycle qu’à d’autres. Le système d’Eudoxe fut rapidement abandonné en tant que théorie du mouvement des planètes, mais il exerça une profonde influence en cosmologie, car le cosmos continua à être considéré comme un ensemble de sphères concentriques jusqu’à la Renaissance.
À la fin du IIIe siècle avant notre ère, des modèles théoriques alternatifs furent développés, basés sur les cercles excentriques et les épicycles. (Un cercle excentrique est un cercle légèrement décentré par rapport à la Terre, et un épicycle est un cercle qui est porté et circule sur un autre cercle). Cette innovation est généralement attribuée à Apollonius de Perga (vers 220 av. J.-C.), mais on ne sait pas avec certitude qui a été le premier à proposer ces modèles. En considérant le mouvement du Soleil, la théorie des sphères homocentriques d’Eudoxe ignorait le fait que le Soleil semble accélérer et ralentir au cours de l’année lorsqu’il se déplace autour du zodiaque. (Un cercle excentrique (c’est-à-dire décentré) peut expliquer ce fait. On considère toujours que le Soleil se déplace à vitesse constante autour d’un cercle parfait, mais le centre du cercle est légèrement décalé par rapport à la Terre. Lorsque le Soleil est le plus proche de la Terre, il semble se déplacer un peu plus rapidement dans le zodiaque. Lorsqu’il est le plus éloigné, il semble se déplacer un peu plus lentement. Pour autant que l’on sache, Hipparque a été le premier à déduire l’importance et la direction de l’excentricité, en basant ses calculs sur la longueur mesurée des saisons. Selon Hipparque, l’excentricité du cercle solaire représente environ 4 % de son rayon. La théorie du cercle excentrique était capable d’une excellente précision pour rendre compte du mouvement observé du Soleil et est restée standard jusqu’au 17ème siècle.
La théorie standard des planètes impliquait un cercle excentrique, qui portait un épicycle. Imaginez que vous regardez le plan du système solaire depuis le dessus de son pôle nord. La planète se déplace dans le sens inverse des aiguilles d’une montre sur son épicycle. Pendant ce temps, le centre de l’épicycle se déplace dans le sens inverse des aiguilles d’une montre autour du cercle excentrique, qui est centré près de la Terre (mais pas tout à fait à sa hauteur). Vue de la Terre, la planète semblera reculer (c’est-à-dire entrer dans un mouvement rétrograde) lorsqu’elle se trouve à l’intérieur de l’épicycle (le plus près de la Terre), car c’est à ce moment-là que le mouvement vers l’ouest de la planète sur l’épicycle est plus que suffisant pour surmonter le mouvement vers l’est du centre de l’épicycle en avant autour de l’excentrique.
Hipparque a joué un rôle majeur dans l’introduction des paramètres numériques babyloniens dans l’astronomie grecque. En effet, un changement important dans les attitudes grecques envers l’astronomie s’est produit à peu près à cette époque. L’exemple babylonien a servi en quelque sorte de réveil aux Grecs. Auparavant, la réflexion grecque sur les planètes avait plutôt consisté à obtenir une vue d’ensemble correcte, fondée sur des principes philosophiques et des modèles géométriques (qu’il s’agisse des sphères concentriques d’Eudoxe ou des épicycles et excentriques d’Apollonius). Les Babyloniens n’avaient pas de modèles géométriques, mais se concentraient sur l’élaboration de théories arithmétiques ayant un réel pouvoir prédictif. Hipparque a réussi à élaborer des théories géométriques numériques pour le Soleil et la Lune, mais il n’a pas réussi pour les planètes. Il se contenta de montrer que les théories planétaires alors en circulation ne concordaient pas avec les phénomènes. Néanmoins, l’insistance d’Hipparque sur le fait qu’une théorie géométrique, si elle est vraie, doit fonctionner dans le détail a marqué une étape majeure dans l’astronomie grecque.
Une autre des contributions d’Hipparque fut la découverte de la précession, le lent mouvement vers l’est des étoiles autour du zodiaque causé par le vacillement, sur une période de 25 772 ans, de l’orientation de l’axe de rotation de la Terre. Les écrits d’Hipparque sur ce sujet n’ont pas survécu, mais ses idées peuvent être reconstituées à partir de résumés donnés par Ptolémée. Hipparque utilisa les observations de plusieurs étoiles fixes, prises par rapport à la Lune éclipsée, qui avaient été faites par certains de ses prédécesseurs. En les comparant avec les observations d’éclipses qu’il avait lui-même faites, il déduisit que les étoiles fixes se déplacent vers l’est d’au moins 1° en 100 ans. Les Babyloniens, dans leurs théories, ont révisé les emplacements des équinoxes et des solstices. Par exemple, dans une version de la théorie babylonienne, l’équinoxe de printemps se produirait au 10e degré du Bélier ; dans une autre version, au 8e degré. Certains historiens ont soutenu que cela reflète une conscience babylonienne de la précession, dont Hipparque aurait pu s’inspirer. D’autres historiens ont fait valoir que les preuves ne sont pas claires et que ces normes différentes pour l’équinoxe peuvent ne représenter rien de plus que des conventions alternatives.