L’insuffisance cardiaque aiguë (IC) est une entité clinique caractérisée par l’apparition rapide de symptômes et de signes secondaires à une fonction cardiaque anormale, avec un débit cardiaque réduit et une congestion pulmonaire et/ou systémique1.
HF aiguë de novo et décompensation aiguë d’une HF chronique
Il existe deux sous-types d’insuffisance cardiaque aiguë – l’insuffisance cardiaque de novo et la décompensation aiguë d’une HF chronique.1 Dans le premier, l’HF est d’apparition soudaine, sans antécédent – un exemple typique est l’infarctus du myocarde (IM) massif, entraînant une dysfonction systolique du ventricule gauche et une HF. Le second type est caractérisé par la décompensation d’une HF chronique, à la suite, par exemple, d’une infection respiratoire.
Alétiologie
L’étiologie la plus fréquemment identifiée de l’HF aiguë est la maladie coronarienne, retrouvée chez 60 à 70% des patients dans de nombreuses séries.Les causes moins fréquentes sont les crises hypertensives, les myocardites et les endocardites1.
Pertinence de l’HF aiguë
En raison du vieillissement de la population et de l’amélioration de la survie après un infarctus aigu, la prévalence de l’HF chronique et l’incidence de l’HF aiguë augmentent.1 Le coût économique de l’HF dans les pays développés représente 1 à 2 % du total des budgets de santé annuels.3 Le syndrome est progressif et se caractérise par de multiples épisodes de décompensation, qui sont l’une des causes les plus fréquentes d’hospitalisation.4,5 Il s’agit de la principale charge sur les ressources, représentant 70-75% des dépenses totales pour l’HF.6,7 La durée moyenne d’hospitalisation due à l’AHF est supérieure à 10 jours.8 Le taux de réhospitalisation dans les 12 mois suivant l’admission pour une AHF est extrêmement élevé, de l’ordre de 45%.9 En outre, l’hospitalisation pour AHF doit être considérée comme un événement clinique extrêmement grave, puisque la mortalité hospitalière est d’environ 8%8 et la mortalité à six mois est estimée à 25-30%.10,11 Le registre de l’insuffisance cardiaque aiguë décompensée (ADHERE) récemment publié a montré qu’il est possible de stratifier le risque de mortalité hospitalière chez ces patients à l’aide de trois paramètres simples, enregistrés à l’admission – l’urée sérique, la pression artérielle systolique et la créatinine sérique12.
Formes de présentation
Les directives de la Société européenne de cardiologie (ESC) énumèrent six formes de présentation clinique de l’HF aiguë:1
- Oedème pulmonaire aigu. Il est défini comme un contexte de dyspnée et d’orthopnée sévères, accompagné de crépitations dans tous les champs pulmonaires – une confirmation radiologique est souhaitable. La saturation artérielle en oxygène à l’air ambiant avant le traitement est généralement <90%.
- Choc cardiogénique. Il est caractérisé par une hypoperfusion tissulaire, malgré une précharge adéquate et une fréquence cardiaque de >60bpm. Il s’accompagne généralement d’une hypotension – pression artérielle systolique (PA) <90mmHg ou une chute de la PA moyenne de >30mmHg – et/ou d’un faible débit urinaire (<0,5ml/kg/h, ce qui correspond à <35ml/h pour un individu pesant 70kg).
- HF décompensée aiguë. Ce contexte présente des caractéristiques moins sévères et ne répond pas aux critères d’œdème pulmonaire aigu, de choc cardiogénique ou d’HF aiguë hypertensive. Il peut être de novo ou dû à une HF décompensée chronique.
- Insuffisance cardiaque droite. Selon les directives, ce syndrome est caractérisé par un faible débit cardiaque avec hypotension, distension jugulaire et hépatomégalie.
- HF aiguë hypertensive. Celle-ci est définie par des signes et des symptômes d’HF avec une radiographie pulmonaire compatible avec un œdème pulmonaire aigu, accompagnée d’une TA élevée et d’une fonction systolique ventriculaire gauche relativement préservée.
- HF à haut débit. Le contexte clinique est celui d’une congestion pulmonaire, d’une fréquence cardiaque élevée causée par une tachyarythmie, une anémie, une thyrotoxicose, etc…, d’un débit cardiaque élevé et d’extrémités chaudes. Elle peut parfois s’accompagner d’une hypotension artérielle comme dans le choc septique.
Stratégie thérapeutique
Dans l’HF aiguë, les objectifs thérapeutiques à court terme peuvent l’emporter sur les objectifs à long terme.13 Alors que dans l’HF chronique, le blocage neurohormonal est le pilier du traitement, dans l’HF aiguë « les objectifs immédiats sont d’améliorer les symptômes et de stabiliser l’état hémodynamique ».1 L’instabilité et le mauvais pronostic de ces patients nécessitent une approche émergente.1 Celle-ci implique trois mesures à prendre aussi rapidement que possible :
- stabilisation clinique et hémodynamique ;
- évaluation diagnostique rapide ; et
- traitement définitif de la cause – lorsque cela est possible – ou correction du facteur déclenchant, lorsqu’il est identifié.1,14
La stabilisation clinique et hémodynamique implique deux objectifs essentiels et complémentaires : la restauration rapide de l’oxygénation et du débit cardiaque. Pour obtenir une saturation en oxygène adéquate, une oxygénothérapie simple, une pression positive continue (CPAP) ou, si nécessaire, une ventilation invasive peuvent être utilisées.
La thérapie pharmacologique intraveineuse est cruciale pour l’amélioration hémodynamique et les vasodilatateurs, les diurétiques et/ou les inotropes peuvent être utilisés, selon la situation clinique.1,14,15 Les vasodilatateurs constituent un traitement de première intention si l’hypoperfusion est associée à une pression artérielle adéquate et à des signes de congestion avec de faibles diurétiques (recommandation de classe I de la Société européenne de cardiologie (ESC)).1 Les diurétiques sont indiqués chez les patients atteints d’HF aiguë et de rétention hydrique (recommandation de classe I de l’ESC).1 Les inotropes sont indiqués en présence d’une hypoperfusion périphérique avec ou sans congestion ou œdème pulmonaire réfractaire aux diurétiques et aux vasodilatateurs – recommandation de classe IIa de l’ESC.1La figure 1 décrit la stratégie générale pour le traitement de l’HF aiguë selon les directives de l’ESC.1
La surveillance de l’état clinique et des effets du traitement doit être initiée le plus tôt possible après l’admission à l’hôpital. Dans la plupart des cas, une surveillance non invasive est suffisante1,16 et comprend l’évaluation des symptômes et des signes vitaux, l’oxymétrie de pouls, la surveillance continue de l’électrocardiogramme (ECG), la mesure du flux urinaire et l’évaluation de la fonction rénale et des électrolytes sériques.1 La surveillance invasive a une recommandation de classe IIb et est généralement réservée aux patients hémodynamiquement instables qui ne répondent pas de manière prévisible au traitement et à ceux qui présentent une hypoperfusion associée à une congestion pulmonaire. Il doit être retiré dès que possible.1
L’évaluation initiale de l’HF aiguë comprend l’appréciation des symptômes et l’évaluation clinique de la perfusion tissulaire et de la congestion pulmonaire et systémique.1 L’évaluation de laboratoire fortement suggérée par les directives de l’ESC comprend les numérations sanguine et plaquettaire, la protéine C-réactive (CRP), l’urée, la créatinine et les électrolytes sériques, la glycémie, la créatine kinase MB, la troponine I/T et les D-dimères.1 En cas d’HF sévère, il faut envisager de mesurer le rapport international normalisé et les gaz du sang artériel.1 Les transaminases, le peptide natriurétique de type b (BNP) ou la prohormone N-terminale du BNP et l’analyse des urines doivent être envisagés.1 La radiographie du thorax fait l’objet d’une recommandation de classe I.1 L’ECG est essentiel dans l’évaluation des syndromes coronariens aigus. L’échocardiographie-2D est essentielle et joue un rôle central dans l’évaluation diagnostique rapide, l’identification des causes traitables ou des facteurs déclenchants corrigibles. Elle porte une recommandation de classe I selon les lignes directrices de l’ESC.1,14
Le traitement définitif, lorsqu’il est possible, peut faire appel à des méthodes invasives ou chirurgicales.1,14 Les facteurs de décompensation doivent être recherchés et traités ; ils comprennent, entre autres, l’infection, le manque d’adhésion au traitement, l’hypertension non contrôlée et les arythmies supraventriculaires avec une fréquence ventriculaire rapide1.
Objectifs du traitement de l’HF aiguë
A part les objectifs immédiats d’amélioration des symptômes, de réduction des signes d’HF et de stabilisation de l’état hémodynamique, d’autres, comme la normalisation des fonctions rénale et hépatique, ainsi que la diminution des marqueurs neurohormonaux tels que le BNP, sont importants.1 Les résultats à plus long terme, qui dépendent probablement de la limitation des lésions myocardiques, sont également pertinents. Il s’agit notamment de la réduction de la durée du séjour hospitalier et des réadmissions ainsi que de la mortalité.1 La tolérabilité de l’intervention thérapeutique est également pertinente.
Organisation des soins
Les conditions locales spécifiques de chaque hôpital dicteront l’organisation des soins.
Au vu du mauvais pronostic associé à ce syndrome, une planification minutieuse du traitement différentiel de ces patients est justifiée. Pour citer les directives de l’ESC, » Les meilleurs résultats sont obtenus si les patients souffrant d’insuffisance cardiaque aiguë sont traités rapidement par un personnel expert dans des zones réservées aux patients souffrant d’insuffisance cardiaque. … Un cardiologue expérimenté et/ou un autre personnel dûment formé doit traiter les patients atteints d’insuffisance cardiaque aiguë » (recommandation de classe I des directives de l’ESC).1 Les directives de la Société sur les unités de soins cardiaques intensifs – communément appelées unités de soins coronariens – indiquent que « l’unité de soins cardiaques intensifs (ICCU) est en train de devenir le centre de traitement des patients souffrant d’arythmies cardiaques graves et d’insuffisance cardiaque décompensée… ». Parmi les patients à admettre dans ces unités figurent » (ii) les patients souffrant d’une insuffisance cardiaque qui nécessite une thérapie intraveineuse ou une surveillance hémodynamique ou le soutien d’un ballon intraaortique, (iii) les patients en choc cardiogénique, (vii) les patients souffrant d’un œdème pulmonaire aigu non résolu par la thérapie initiale et en fonction des conditions sous-jacentes et (ix) les patients après une transplantation cardiaque présentant un problème aigu « .17 En ce qui concerne la sélection des patients à admettre dans les unités de soins cardiaques intermédiaires, les éléments suivants sont inclus : ‘les patients présentant une insuffisance cardiaque incontrôlable ne répondant pas à un traitement oral régulier, en particulier ceux présentant des comorbidités’.17
Le rôle des cardiologues dans le traitement de l’HF aiguë en Europe va devenir de plus en plus important. Le concept traditionnel d’unités de soins coronaires et d’unités de soins cardiaques intermédiaires comme lieux de traitement des syndromes coronariens aigus est remplacé par celui d’ICCU, auxquelles on demande d’assumer de nouvelles responsabilités qui incluent la gestion et le traitement des patients atteints d’HF aiguë.