Symbolisme du Taj Mahal

Certes, le Taj Mahal est d’une beauté stupéfiante, mais cette réussite ne doit rien au hasard, la proportion des bâtiments, leurs dispositions, le choix des matériaux, rien de tout cela n’est laissé au hasard. Bien mieux : Non seulement tout a été étudié pour parvenir à cette réussite, mais le Taj Mahal regorge de symboles, à commencer par la disposition des lieux eux-mêmes, c’est-à-dire les qualités d’analyse dont les concepteurs avaient besoin pour parvenir à ce résultat.

Pour ceux qui s’intéressent au symbolisme dans l’art, en particulier l’art musulman, les symboles du Taj Mahal sont évidents. Tout d’abord, regardons les études qui ont été faites sur le symbolisme du Taj Mahal.

Jusqu’au 20ème siècle : Un symbole d’amour

Jusqu’au milieu du 20ème siècle, le Taj Mahal n’a pas vraiment été étudié. Il existe de nombreux documents, parfois de véritables études sur le monument, mais aucune ne parvient à des conclusions qui seraient acceptables aujourd’hui, si l’on peut parler de résultats définitifs en histoire de l’art.

Le Taj Mahal

Le Taj Mahal

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Le Taj Mahal

Le Taj Mahal

Le mausolée du Taj Mahal

La vision qui a précédé l’ère moderne était celle d’un Taj Mahal symbolisant l’amour, un symbole qui est encore largement utilisé aujourd’hui. En effet, l’histoire nous a laissé l’explication de la construction du Taj Mahal, à savoir qu’il s’agit du tombeau de Mumtaz Mahal, la 3e épouse du 5e empereur moghol Shah Jahan. Ce dernier a construit « les plus beaux tombeaux » car sa femme est morte lors de l’accouchement de son 14ème enfant. C’est un fait historique, il est possible de suivre la scène de la mort de Mumtaz Mahal, son enterrement temporaire pendant la construction du tombeau, et son enterrement définitif sur place.

Quand on voit aujourd’hui la beauté du Taj Mahal, on peut imaginer la profondeur de l’amour que l’empereur portait à sa femme, et il est donc naturel que le Taj Mahal soit le symbole de l’amour. C’est cette vision qui a prévalu jusqu’à la fin du XXe siècle, lorsque les historiens se sont penchés un peu plus sur le monument et ont découvert un autre symbolisme.

La fin du XXe siècle : Une représentation du Paradis

Des études plus récentes ont changé le point de vue des historiens. Désormais, le monument n’est plus un simple symbole d’amour mais une représentation du Paradis associée à la notion de Jugement dernier. Cette vision est due à Wayne Ernest Begley, qui a publié une étude complète sur le sujet et sert de base aux textes ci-dessous.

Le Taj Mahal pris dans son ensemble, c’est-à-dire incluant les murs, les bâtiments Sud, les jardins et la terrasse, correspond à une unité physique représentant un message symbolique unique. On ne peut donc pas exclure l’un des bâtiments sans compromettre le message symbolique. De même, la transformation d’un des éléments qui constitue le Taj Mahal a nécessairement un impact sur le symbole qu’il représente, aussi minime que soit ce changement (par exemple, un changement de matériau ou une modification de la disposition des jardins. ).

Certaines caractéristiques sont plus importantes que d’autres. Les principales sont :

  • l’utilisation de la symétrie,
  • la disposition des bâtiments sur une grille,
  • les décorations,
  • l’ordonnancement des matériaux selon leurs couleurs,

Si les textes contemporains de la création du Taj Mahal le précisent, ce sont essentiellement les travaux de Begley qui le confirment : Les plans du monument ont été réalisés par rapport à la « Plaine de l’Assemblée », lieu eschatologique du Jugement dernier . Rappelons que l’eschatologie est l’ensemble des doctrines et des croyances concernant le sort ultime de l’homme après sa mort (eschatologie individuelle) et sur celui de l’univers après sa mort (eschatologie universelle). La disposition des bâtiments est troublante pour cette plaine qui est décrite dans les manuscrits des Illuminations de la Mecque Ibn Arabi voici un schéma:

Schéma de la plaine de l'Assemblée

La plaine de l’Assemblée, censée être en place le jour du Jugement dernier, est une zone rectangulaire entourée à droite et à gauche par deux rangées d’anges et en bas par trois rangées que l’on peut voir comme les limites des jardins du Taj Mahal. Le Trône de Dieu, qui est selon l’Islam porté par 8 anges, se trouve sur la partie supérieure, il est représenté par une étoile à 8 branches qui est plus proche de l’octogone du mausolée. Il est flanqué des quatre justes (la mosquée et le pavillon des invités) et, juste en dessous, de l’ange Gabriel. Le bassin central de la plaine de l’Assemblée est proche de l’endroit où se trouve le Prophète, qui utilise la balance pour peser les âmes des morts. Le Paradis et l’Enfer sont des jardins équivalents, au Taj Mahal. Il y a donc une adéquation, certes imparfaite, entre la disposition interne du Taj Mahal et la représentation spirituelle qui est faite de l’au-delà selon la religion musulmane. La principale différence réside dans le fait que les jardins du Taj Mahal ne sont qu’une représentation du Paradis, alors que le document eschatologique montre à droite le Paradis et à gauche l’Enfer, avec le pont permettant aux âmes justes de traverser l’Enfer pour accéder au Paradis.

On peut noter que la religion chrétienne possède un lieu similaire, l’entrée du Paradis, qui est censé accueillir les morts pour la pesée des âmes et leurs réorientations vers le Paradis ou l’Enfer par Saint Pierre, le premier des apôtres.

Le voyage spirituel

Le Taj Mahal est divisé en 4 parties, toutes alignées du Sud au Nord. Chaque passage de l’une à l’autre correspond à un passage symbolique, du plus terrestre au plus céleste. Ainsi la partie la plus au sud est le caravansérail, un vaste espace carré hélas aujourd’hui disparu (Il a été rattrapé par l’urbanisation d’Agra) qui accueillait un marché et où arrivaient les caravanes des autres villes. C’était un lieu de rencontre, de commerce et d’échange culturel, un lieu dédié à la vie terrestre sans aucune référence à la spiritualité. Plus au nord se trouve la cour intérieure, appelée Jilaukhana, qui est un lieu de préparation à la vie spirituelle. Symboliquement, c’est l’endroit où les gens de l’extérieur se préparent à entrer dans les lieux les plus sacrés du monument, un lieu où se trouvent les tombes des deux premières épouses de l’empereur Shah Jahan et où l’officiant résidait religieusement, à l’époque. Puis, plus au nord, le visiteur passe sous la porte principale, Darwaza-i rauza. Cette porte (en fait, un bâtiment très impressionnant) correspond au passage de la vie à la vie spirituelle puisqu’elle permet d’entrer au Paradis, représenté sur Terre par un jardin. Ce dernier répond à un ordonnancement expliqué plus loin. Enfin, au nord, se trouve le mausolée, la partie la plus sacrée du Taj Mahal. Il est gardé par une mosquée et la maison des invités, un bâtiment similaire à la mosquée mais non consacré car il n’est pas orienté dans la bonne direction.

Ce chemin a été étudié par les constructeurs et cette représentation du Paradis est prouvée par un grand nombre d’éléments.

Présence du chiffre 4

Dans tout le Taj Mahal le chiffre 4 est représenté partout, c’est un chiffre commun dans le Coran. Il divise en parties égales, a plusieurs représentations géométriques et est associé à la logique, à la rigueur, autant de caractéristiques recherchées par les bâtisseurs moghols. Ce sont les 4 canaux les plus évidents, ils divisent le jardin en 4 parties, elles-mêmes divisées en 4. Le jardin est un carré parfait, tout comme le bassin central. Le mausolée est flanqué de quatre minarets, son toit à quatre dômes entoure le dôme principal et est de forme octogonale avec quatre grands côtés et quatre petits.

Le jardin, une représentation du Paradis

Le jardin est constitué de deux longs canaux orientés selon les points cardinaux, ils forment une croix. Au centre de la croix, les canaux ne se rejoignent pas, le centre étant occupé par un bassin carré. Les 4 canaux symbolisent les 4 rivières du Paradis selon les musulmans, à savoir la rivière d’eau, celle du lait, celle du vin et celle du miel. Cette description est faite dans la sourate 47, verset 15 du Coran. Géométriquement les 4 canaux divisent le jardin en 4 parties égales, c’est une autre représentation coranique, celle de la sourate 55, versets 46 à 50 et 62 à 66 : Les 4 jardins du Paradis. Le bassin central, c’est une représentation de la possibilité pour le défunt de se rafraîchir.

L’élévation du mausolée

Comme les 3 religions du Livre, l’Islam évoque l’ascension des âmes au Paradis. On retrouve ainsi dans le Taj Mahal cette notion d’ascension, et c’est probablement la notion religieuse la plus partagée avec le catholicisme et le judaïsme. On la retrouve à plusieurs endroits : La forme du dôme, l’élévation des minarets, et la position de la terrasse.

L'élévation du mausolée

L’élévation du mausolée

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L’élévation du mausolée

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L'élévation du mausolée

Le mausolée semble s’élever dans le ciel

On accède à la terrasse par un escalier caché, quand on la regarde depuis l’entrée du monument. Jusqu’à présent, le mausolée semble flotter dans l’air sans contraintes. Comme son architecture est d’une grande légèreté cette sensation de flottement est accentuée. De plus, le mausolée est surmonté d’un dôme à bulbe caractéristique de l’art moghol, le dôme pointe vers le ciel et agrandit encore l’élévation du mausolée. Ce qui ne saute pas forcément aux yeux du visiteur, c’est le symbolisme qui s’attache aux formes : Le mausolée, octogonal, repose sur une base carrée, une forme géométrique associée à la terre. Il faut savoir que selon les musulmans, on ne parle pas d’un mais de 8 paradis. Il est facile de se mettre entre ces 8 paradis et l’octogone du mausolée, et nous avons une chaîne : Du carré à l’octogone au dôme, qui représente symboliquement le passage de la terre au Paradis. Selon le Coran, quatre anges soutiennent le trône divin, et ils seront huit le jour du jugement (sourate 69, verset 17).

Les 4 minarets sont une référence directe à l’ascension des âmes vers le ciel. Ils entourent le mausolée dont la coupole a la même fonction et semblent l’aider, en faire le passage vers le Paradis céleste. En ce que leur finesse est un atout, elles font contrepoids au mausolée, beaucoup plus massif quel que soit l’air suffisant pour un tel volume.

Enfin, la coupole a une fonction évidente de représentation de l’ascension de l’âme du défunt vers le Paradis.

Le lotus inversé

Le lotus est une fleur symbolique de la tradition hindoue, c’est un des éléments prouvant le mélange de culture des moghols.

Dans l’imaginaire hindou, il représente la connaissance, l’ouverture sur le monde et de manière plus spirituelle l’élargissement uniforme et continuel de l’univers. Cela est dû à sa capacité à se déployer lorsqu’il est dans l’eau, les hindous estimant qu’il a la possibilité de s’ouvrir au monde car il peut se trouver dans un environnement propice, une métaphore de la vie sur terre.

Matériaux, couleurs

Les matériaux utilisés pour construire le Taj Mahal ne sont pas neutres, ils ont certes été dictés par des contraintes pratiques, mais pas seulement. Ainsi, le marbre blanc a été utilisé pour souligner la luminosité du mausolée. D’une bonne blancheur, le mausolée apparaît toujours illuminé quelle que soit la qualité ou la couleur de la lumière. Dans le Coran, on parle de « Perle du Paradis » pour évoquer les lieux saints. Une perle du Paradis peut être, logiquement, recouverte de blanc accentuant la transparence du lieu. Cette blancheur éclatante à tout moment de la journée n’est jamais interrompue par des ombres car les iwans (porches d’inspiration persane sculptés autour du mausolée) sont larges, hauts et peu profonds, les ombres peuvent s’y former n’altèrent pas la luminosité du monument.

De plus, les couleurs apportées par le soleil du matin ou du soir, selon l’environnement climatique, laissent le mausolée tout aussi lumineux. Les musulmans peuvent alors le comparer à ce qui est inscrit dans le verset 35 de la 24e sourate « lumière du ciel et de la terre ».

La couleur des matériaux est également importante pour la symbolique hindoue. Le Taj Mahal est essentiellement blanc et rouge (marbre blanc, grès rouge). Dans la civilisation hindoue, le rouge est la couleur des guerriers tandis que le blanc est celle des brahmanes. Les brahmanes sont des hommes lettrés, enseignants ou prêtres. utiliser les couleurs rouge et blanche, c’est donc, vis-à-vis de la communauté hindoue, souligner la dualité Terre-Ciel en évoquant leurs représentants sur Terre.

Décorations florales

Le mausolée est couvert de décorations florales ou végétales qui sont de deux types : Soit en Pietra dura (ie en marqueterie de pierre), soit en bas-relief. L’utilisation du bas-relief plutôt que du haut-relief (dont le relief est plus accentué) se justifie par la limitation du jeu d’ombres qu’il va provoquer sur le monument lui-même, le but étant de laisser le mausolée le plus ensoleillé possible.

Décoration du Taj Mahal

Décoration du Taj Mahal

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Décoration du Taj Mahal

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Décoration du Taj Mahal

Les décorations en marbre du mausolée

Pourquoi des fleurs et des plantes, et non des représentations animales ou humaines ? La réponse est également purement symbolique. En islam, toute représentation humaine est interdite, donc il n’y en a pas. Ensuite, les plantes représentent le bien-être car l’islam s’est développé dans des régions arides, l’eau, les plantes étaient donc des biens précieux et comme tout ce qui est précieux est logiquement associé à l’au-delà , les plantes sont en bonne place dans la liste des éléments divins. De plus, le jardin est une représentation du Paradis, il est totalement lié à la représentation des plantes sur le mausolée, ces plantes évoquant la vie éternelle paradisiaque. Les fleurs ont d’autant plus cette notion de plantes paradisiaques qu’elles n’ont pas de vocations terrestres, les fruits, étant nutritifs ils sont plus proches de la vie terrestre.

Les décorations florales participent donc à la représentation du Paradis qu’est le Taj Mahal.

La géométrie du mausolée

Le mausolée possède, extérieurement, différentes notions symboliques : Couleur blanche éclatante, forme octogonale rappelant les 8 paradis, coupole s’étirant vers le ciel. Mais son intérieur est également symbolique. L’accès à la partie centrale contenant les cénotaphes ne peut se faire que par des antichambres correspondant à une ultime purification de l’âme avant l’arrivée aux lieux les plus sacrés du Taj Mahal. Ce passage est identique à celui qui peut être effectué lorsque le visiteur entre dans les jardins. La pièce centrale, également octogonale, comporte 4 passages s’ouvrant sur les 4 points cardinaux. L’orientation parfaite du mausolée se rapproche de la vision du Paradis des moghols, qui privilégiaient la précision géométrique. Ainsi, dans le mausolée, la notion d’espace se perd puisque tout est parfaitement identique, le visiteur se trouvant dans un lieu sans référence spatiale, ce qui augmente son impression d’être au Paradis.

L’acoustique exceptionnelle du mausolée est aussi un symbole de pureté. Le son se propage en rebondissant sur les parois sans être arrêté, réfléchi jusqu’à la perte de puissance qui marque sa fin. Il peut tenir 30 secondes.

La proximité du Yamuna

Le Yamuna

Le Yamuna

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Le Yamuna

Le Yamuna

Le fleuve Yamuna, qui passe au nord du Taj Mahal

La rivière Yamuna qui traverse la ville d’Agra passe juste au nord de la station. Cette rivière est un affluent du Gange qui est le courant purificateur des hindous. C’est dans le Gange que sont dispersées les cendres des hindous car c’est le fleuve qui purifie l’âme du défunt avant la poursuite de son cours vers le ciel. La proximité de l’affluent du Gange avec le Taj Mahal est donc un symbole de la volonté du Moghol de purifier l’âme de la défunte Mumtaz Mahal, et ce vis-à-vis de la communauté hindoue plutôt que musulmane. Pour information selon l’hindouisme le Gange est un fleuve sacré venant du pied de Vishnu et rejoignant le Mont Meru qui est la montagne cosmique, l’axe de l’univers.

Conclusion

En conclusion nous pouvons dire que le Taj Mahal a été construit selon des normes imposées par des impératifs religieux centrés sur le concept de la vie après la mort. Si l’islam est la principale source d’inspiration, l’hindouisme n’a pas été oublié avec, par exemple, l’utilisation de décorations en pierre et la purification de l’âme par la Yamuna.

Voir aussi :

Histoire du Taj Mahal

Musée du Taj Mahal

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