Six façons dont Trump a saboté la loi sur les soins abordables

Le premier mandat de Donald Trump représente un développement extraordinaire de ce que les politologues ont appelé la présidence administrative ou unilatérale : comment les présidents cherchent à transformer la politique intérieure par des initiatives exécutives sans l’approbation du Congrès. Les présidences administratives agressives, partisanes et multiformes ont été particulièrement évidentes depuis Reagan, avec la participation de présidents des deux partis. Trump a, de multiples façons, porté cette tendance à de nouveaux niveaux, comme l’illustrent de manière éclatante ses efforts pour saboter la loi sur les soins abordables (ACA, ou Obamacare).

Frank J. Thompson

Professeur au Conseil des gouverneurs, École des affaires publiques & Administration – Université Rutgers

À des fins d’analyse, le terme « sabotage », ne doit pas être utilisé à la légère. Les présidents, dès leur entrée en fonction, ont généralement des priorités qui déclenchent des actions exécutives renforçant certains programmes tout en en affaiblissant d’autres. Les programmes perdants sont souvent confrontés à des réductions de ressources, à des pressions visant à minimiser certains objectifs, à des directives visant à modifier leurs approches administratives et à d’autres mesures susceptibles de nuire à leur efficacité. En agissant de la sorte, le président fait souvent preuve d’un grand respect pour le programme, en affirmant qu’il a été « modernisé » ou amélioré d’une autre manière. En revanche, le dictionnaire Webster définit le « sabotage » comme un effort visant à favoriser « la destruction et l’obstruction » et à « provoquer l’échec de quelque chose ». Dans le contexte de la présidence administrative, cette définition reflète un engagement en faveur de l’émasculation et de la fin du programme par l’action exécutive. En tant que tel, il s’écarte fortement de l’exigence constitutionnelle selon laquelle le président « veille à ce que les lois soient fidèlement exécutées ».

Les efforts de l’administration Trump pour saboter l’ACA et leurs conséquences reçoivent une attention détaillée dans un livre Brookings récemment publié, Trump, la présidence administrative et le fédéralisme. Pour les besoins actuels, je souligne six grandes initiatives de sabotage qui ont émergé à la suite de l’échec du Congrès à abroger et à remplacer l’ACA.

1. Réduire la sensibilisation et les possibilités d’inscription dans les échanges d’assurance de l’ACA. Créés pour offrir une assurance maladie aux particuliers et aux petites entreprises, les échanges ont fourni une couverture à quelque 10 millions de personnes par an. L’administration Obama avait fait une promotion vigoureuse de l’ACA en partie pour attirer des personnes jeunes et en bonne santé dans les échanges afin de maintenir les primes à un niveau bas. L’administration Trump a fortement réduit le soutien à la publicité et aux navigateurs d’échange tout en réduisant la période d’inscription annuelle à environ la moitié du nombre de jours.

2. Réduire les subventions de l’ACA aux compagnies d’assurance offrant une couverture sur les échanges. Les promoteurs de l’ACA considéraient que la participation des compagnies d’assurance aux échanges était essentielle pour favoriser le choix des personnes inscrites et pour alimenter la concurrence qui ferait baisser les primes. La loi prévoyait donc diverses subventions aux compagnies d’assurance pour réduire leurs risques de perdre de l’argent si elles participaient aux échanges. L’administration Trump s’est jointe aux républicains du Congrès pour renier ces engagements financiers.

3. Construire des rampes de sortie vers des assurances moins chères et de moindre qualité. L’ACA avait cherché à renforcer la qualité de l’assurance maladie par des mesures telles que l’obligation pour les assureurs des marchés individuels et des petits groupes de couvrir dix prestations essentielles, la garantie de la couverture des personnes souffrant de conditions préexistantes à des taux de primes similaires à ceux des inscrits plus aisés, et la réduction des risques de faillite médicale en interdisant aux assureurs d’imposer certains plafonds de dépenses en matière de soins de santé pour un inscrit. En promulguant de nouvelles règles fédérales liées aux plans de santé à court terme et aussi aux associations d’employeurs, l’administration Trump s’est efforcée d’élargir l’accès à une couverture moins chère qui ne répondait pas à ces normes de qualité et qui siphonnerait les inscrits en meilleure santé des échanges.

4. Promouvoir des dérogations qui diminueraient les inscriptions à l’ACA et saperaient sa structure réglementaire. L’administration Trump a approuvé les dérogations de démonstration de plusieurs États qui imposaient des exigences de travail et des charges administratives aux adultes non âgés bénéficiant de l’expansion Medicaid de l’ACA. CMS a également invité les États à utiliser la nouvelle autorité de dérogation de l’ACA pour proposer des alternatives qui s’écartent fortement des « garde-fous » que l’administration Obama avait établis pour s’assurer que ces dérogations ne diluent pas la couverture.

5. Décourager les « étrangers » légaux de s’inscrire à Medicaid. Le ministère de la Sécurité intérieure a promulgué une règle de « charge publique » qui autorisait les fonctionnaires à traiter l’inscription à Medicaid comme un facteur négatif lors de l’examen des demandes des non-citoyens légaux pour prolonger leur séjour ou changer leur statut (par exemple, de résident temporaire à résident permanent).

Ces cinq initiatives de sabotage ont précipité une certaine érosion des inscriptions et des avantages de l’ACA ; elles ont probablement contribué à une légère augmentation du nombre d’Américains non assurés. Dans l’ensemble, cependant, l’ACA a fait preuve de résilience. Environ 20 millions de personnes sont toujours inscrites dans les échanges et via l’extension de Medicaid. Le nombre d’États ayant choisi d’étendre Medicaid au cours du premier mandat de M. Trump est passé de 31 à 38 (plus le district de Columbia). Les personnes souffrant de conditions préexistantes continuent de bénéficier des réglementations de qualité de l’ACA.

La résilience de l’ACA reflète en grande partie la puissance des procureurs généraux des États, d’autres responsables politiques des États et des parties privées pour résister au sabotage. Les compagnies d’assurance ont intenté des procès avec succès pour contrecarrer les efforts des républicains visant à éradiquer leurs subventions. Avant même cela, elles ont obtenu l’autorisation de la plupart des commissaires d’assurance des États de procéder à des « chargements d’argent » – une stratégie de primes obscure qui leur a permis de remplacer les revenus perdus par les réductions fédérales. À leur tour, les procureurs généraux des États démocrates ont utilisé les tribunaux pour bloquer certaines initiatives de Trump visant à promouvoir une assurance de moindre qualité, et pour ralentir son initiative de charge publique. De leur côté, les groupes de pression privés ont intenté avec succès des procès pour faire dérailler les dérogations à l’obligation de travailler. En outre, si Biden remporte l’élection, il pourrait annuler la plupart des initiatives de sabotage de l’administration Trump.

Les réalisations modestes de la stratégie de sabotage de Trump pourraient toutefois se transformer en un succès retentissant grâce à une sixième initiative : persuader la Cour suprême de détruire l’ACA. Au cours des dernières décennies, la décision de demander au ministère de la Justice de défendre la constitutionnalité d’une loi est devenue un outil important de la présidence administrative. C’est le cas de la plus récente contestation juridique de l’ACA que la Cour suprême entendra juste après l’élection. L’affaire découle d’un procès intenté par 18 procureurs généraux d’États républicains, deux gouverneurs républicains et deux résidents du Texas devant un tribunal fédéral de district. Les plaignants estimaient que, le Congrès ayant supprimé en 2017 la pénalité financière pour défaut d’assurance maladie, l’obligation d’acheter une couverture qui restait dans la loi était inconstitutionnelle et invalidait l’ensemble de l’ACA. Le juge Reed O’Connor, nommé par George W. Bush, s’est rallié à ce point de vue. La décision de O’Connor a été une révélation pour la Maison Blanche. Le ministère de la Justice avait initialement soutenu que le mandat restant, sans effet, n’invalidait qu’une partie de l’ACA, principalement les protections pour les personnes souffrant de conditions préexistantes. Maintenant, et contre l’avis de son procureur général, le président a embrassé l’annulation de toutes les dispositions fondamentales de l’ACA.

Les juristes et les experts de tout le spectre idéologique ont critiqué la décision du juge O’Connor. Mais elle représente une véritable menace pour l’ACA. Deux juges nommés par les républicains à la Cour d’appel du cinquième circuit (avec une nomination démocrate dissidente) ont confirmé l’essentiel de la décision de O’Connor tout en lui renvoyant l’affaire pour qu’il examine si des parties de la loi peuvent être sauvées. Entre-temps, les procureurs généraux démocrates des États ont persuadé la Cour suprême d’entendre l’affaire. Le décès de la juge Ginsburg et la nomination par le président Trump d’une juge de cour de circuit, Amy Coney Barrett, pour la remplacer, accentuent la menace existentielle qui pèse sur l’ACA. Barrett a vivement critiqué les décisions antérieures de la Cour suprême soutenant la constitutionnalité de la loi.

Les développements actuels illustrent la façon dont la présidence administrative peut exploiter son contrôle sur le ministère de la Justice pour s’allier à des fonctionnaires d’État du même parti afin d’atteindre ses objectifs politiques. Ils sont également pertinents pour le débat en cours entre les politologues sur la question de savoir si les juges fédéraux sont mieux considérés comme des partisans en robe, dont le comportement de vote sur les questions politiques saillantes reflète ceux du parti du président qui les a nommés. Jusqu’à présent, les décisions récentes des tribunaux sur le mandat individuel ont fidèlement suivi le modèle des partisans en robe. Il reste à voir si la décision en attente de la Cour suprême reflète ce modèle.

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