Elle a régné sur toute la Russie pendant plus de trois décennies, élargissant ses frontières et en faisant l’un des acteurs les plus puissants de la politique mondiale. Mais c’est ce pouvoir qui a fait de Catherine la Grande la victime de mythes misogynes notoires depuis lors. Nymphomanie, bestialité, voyeurisme, et même amour des meubles érotiques – rares sont les thèmes de déviance sexuelle qui n’ont pas été inventés à propos de l’impératrice de Russie.
Les historiens décrivent Catherine comme « prenant de nombreux amants ». Cependant, de 1752 à 1796, soit une période de 44 ans, Catherine a été impliquée dans 12 relations amoureuses, la plupart ayant duré plus de deux ans chacune. Ce ne sont pas les chiffres que l’on pourrait attendre d’une obsédée sexuelle. Comme la reine d’Angleterre Elizabeth I, Catherine reconnaissait que se marier signifiait renoncer à son pouvoir, et choisissait donc plutôt des partenaires avec lesquels elle entretenait généralement de bonnes relations de travail.
Le premier mariage de Catherine la Grande était mal assorti.
Son mariage arrangé avec son mari, le futur tsar Pierre III, était mal assorti dès le départ. En 1752, neuf ans après son mariage, Catherine avait déjà trouvé un autre amant, Sergei Saltykov. Peu après, elle rencontra Stanislas Poniatowski, avec qui elle eut une fille, et qu’elle installa plus tard comme roi de Pologne, renforçant ainsi la position de la Russie en Europe avec un vassal loyal. Après avoir renversé son mari Pierre III par un coup d’État en juillet 1762, Catherine est couronnée impératrice de Russie. Elle ne se mariera plus jamais, prenant au contraire des amants qu’elle promouvra à des postes clés du gouvernement russe.
Un acteur clé du coup d’état était Grigory Orlov avec qui elle aurait un fils alors qu’elle était encore mariée. Lorsqu’en août 1772, Orlov quitte la cour, Catherine prend un autre amant, Alexandre Vasilchikov. Mais cette relation ne dure pas longtemps : Vasilchikov fut remplacé en 1774 par Grigory Potemkin, qui devint le consort de facto de longue durée de Catherine. A propos de ce changement de partenaire, Catherine écrit à un ami : « Pourquoi me reprochez-vous parce que j’écarte un bourgeois bien intentionné mais extrêmement ennuyeux en faveur de l’un des plus grands, des plus comiques et des plus amusants personnages de ce siècle de fer ? ». Même après la fin de leur relation vers 1776, Potemkine est resté son ministre préféré, gagnant le titre de « Prince du Saint Empire romain germanique ».
Au cours des 20 années suivantes, Catherine aura encore sept relations amoureuses. Bien qu’il s’agisse généralement d’hommes beaucoup plus jeunes, rien ne suggère un quelconque appétit sexuel vorace. Alors d’où viennent les légendes sur Catherine ?
Cléopâtre, Anne Boleyn étaient également visées.
Il faut comprendre que toutes les femmes qui ont exercé un pouvoir politique ont fait l’objet d’accusations de déviance ou de voracité sexuelle. Cléopâtre aurait offert aux hommes une nuit d’amour avec elle au prix de leur vie. Anne Boleyn a été faussement accusée de liaisons avec cinq hommes différents, y compris d’inceste avec son frère. Catherine de Médicis a été dépeinte comme la sournoise maîtresse d’un harem de séduisantes dames d’honneur auxquelles elle ordonnait de séduire les nobles, et a été accusée de faire appel à des prostituées pour ses jeunes fils. Elizabeth I, pour éviter ce genre de spéculation, a dû se présenter comme la « reine vierge », tout aussi invraisemblable. »
Ces femmes, qui ne se conformaient pas à la vision réductrice de l’épouse soumise de seconde zone à un homme plus puissant, ont subi des calomnies répétées toujours fondées sur des accusations inventées d’insatiabilité sexuelle.
À chaque fois, ces histoires prennent naissance dans l’esprit de leurs plus grands ennemis. Les récits de la vie de Cléopâtre, par exemple, proviennent tous de Romains, désireux de glorifier l’Empire romain et son fondateur Octave Auguste, qui avait été le rival de Cléopâtre.
En France, où le manque de soutien de Catherine à la récente Révolution signifiait qu’elle était devenue une représentante vilipendée de l’ancien régime, le même genre de libelles pornographiques qui avaient été utilisés contre Marie-Antoinette étaient prêts à être déployés contre elle. Les presses révolutionnaires déversent allègrement le même genre de prose polémique qui dépeint Catherine comme la proie de son appétit sexuel vorace. Les presses britanniques ont fait de même avec des caricatures politiques obscènes.
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Ces représentations comprenaient le mythe le plus notoire de tous : on prétendait que, lors d’une orgie de bestialité, Catherine était morte lorsque le harnais qui suspendait un étalon au-dessus d’elle s’était rompu, la faisant écraser par le cheval. (L’utilisation de l’équitation comme métaphore sexuelle a une longue histoire dans les attaques diffamatoires contre les femmes de la cour. L’équitation était intégralement liée aux notions de noblesse, et cette histoire était également une subversion parfaite des compétences équestres notoires de Catherine.
Au cas où l’on douterait de la misogynie au cœur des légendes négatives à son sujet, il suffit de consulter les pensées de ses puissants contemporains. Le grand rival de Catherine tout au long de son règne, Frédéric le Grand, souverain de Prusse, a dit d’elle : « Une femme est toujours une femme et, dans un gouvernement féminin, la chatte a plus d’influence qu’une politique ferme guidée par une raison droite. » Des raisins acides en effet de la part de celle qui n’a jamais pu surmonter son énorme pouvoir.
En tant que femme qui exerçait plus de pouvoir que presque tous les autres hommes contemporains, Catherine subirait les pires types d’invention misogyne de dépravation sexuelle.