Santul Nerkar
La démocratie est instable. Il y a une tendance naturelle dans le discours américain à promouvoir le système actuel de la règle comme la forme la plus juste, sûre et efficace de gouvernement, mais il y a des preuves pour suggérer que le « backsliding », ou une montée des éléments illibéraux dans une démocratie florissante, illumine un danger clair et présent pour le tissu des systèmes de gouvernance modernes. Dans son œuvre dialectique fondamentale, La République, Platon explore cinq formes de gouvernement et revendique les qualités de chacune d’entre elles. Plus précisément, il considère la démocratie comme une forme instable de gouvernement et comme un pas de plus vers la tyrannie. Selon Platon, la démocratie est née du mécontentement à l’égard de l’oligarchie et mènera à la tyrannie lorsque la soif de liberté totale se transformera en un régime autocratique. Alors que la démocratie est aujourd’hui considérée comme la forme de gouvernance la plus éclairée, Platon la considère comme l’avant-dernière étape de la descente inévitable vers la tyrannie pour les sociétés en pleine décadence politique. Platon affirme de manière puissante et cohérente que les démocraties sont susceptibles de subir la « tyrannie de la majorité » et d’être gouvernées par la démagogie. Cependant, l’argument de Platon selon lequel l’apparition de la démocratie est nécessairement suivie par le début de la tyrannie n’est pas aussi convaincant, et il ne parvient pas à expliquer pourquoi les démocraties ont prospéré dans l’histoire récente.
Pour mieux comprendre la critique de la démocratie par Platon, il est important de souligner son analogie entre l’âme et la cité. Il introduit ce parallèle dans le livre II, avec « …enquêtons d’abord sur la nature de la justice et de l’injustice dans la cité… » La forme de gouvernance la plus juste, l’aristocratie, est associée au philosophe-roi qui possède les qualités nécessaires pour diriger une société juste. Le couplage de la cité et de l’âme est la clé pour comprendre les paires de Platon de chaque forme de gouvernance, allant de l’homme motivé par l’honneur qui représente la timocratie, l’homme aimant la richesse qui représente l’oligarchie, l’homme gouverné par des appétits inutiles et la liberté qui représente la démocratie, et enfin l’homme gouverné par des appétits complètement injustes qui démontre la tyrannie.
Selon Platon, l’aristocratie cède inévitablement la place à une forme de gouvernance inférieure en raison de la faillibilité de la nature humaine. Une faction est « Fer et bronze », qui est attirée par l’accumulation de richesses. L’autre est « Or et argent », qui tente en vain de ramener « l’opposition à la vertu et à l’ordre hérité ». Le factionnalisme représente une évolution vers la timocratie, un compromis entre l’aristocratie et l’oligarchie. La timocratie ressemble à l’aristocratie précédente à bien des égards, mais présente également des qualités de l’oligarchie dans son « avidité pour la richesse » et « une soif secrète d’or et d’argent… » La timocratie et l’âme éprise d’honneur incarnent la noblesse de l’aristocratie, mais ne peuvent empêcher la soif de richesse de prendre le dessus sur le système pour se transformer en une véritable oligarchie. Ainsi, « les amoureux de la victoire et de l’honneur deviennent finalement des amoureux de l’argent et du profit ». Le plus grand bien, qui était la sagesse sous le régime aristocratique, est maintenant devenu la poursuite de la richesse sous le couvert de l’âme oligarchique. L’oligarchie se transforme ensuite en démocratie, car l’accumulation de richesses entre les mains de quelques-uns sème le mécontentement dans une classe inférieure de citoyens en expansion. Les « nombreux » sont décrits comme « haïssant ceux qui ont acquis leurs domaines et complotant contre eux et contre le reste des citoyens, ils ont soif de révolution ». Platon décrit la naissance de la démocratie comme « soit par la force des armes, soit par l’usage de la terreur qui oblige l’opposition à se retirer ». Les libertés primordiales qui en découlent servent à nuire à la cité, car la « permissivité » de la cité démocratique permet la manifestation de la tyrannie. La cité démocratique, dit Platon, « ne se soucie pas de la conduite passée de l’homme qui entre dans la vie publique. Il n’a qu’à se proclamer l’ami du peuple, et il sera honoré ». Platon considère que la démocratie est plus dangereuse que l’oligarchie car, bien que les deux partagent les mêmes caractéristiques néfastes, la cité démocratique « a embrassé l’anarchie », et la « classe des bourdons », ou la classe de personnes qui motive les pauvres contre les riches dirigeants, est dominante. Enfin, la descente vers la tyrannie est marquée par l’entrée du démagogue susmentionné, qui bénéficie de la « propension de la démocratie à élever et à glorifier un homme comme protecteur et champion du peuple. »
La critique de Platon à l’égard de la démocratie est que celle-ci ne privilégie pas la sagesse et la recherche du savoir comme un bien inhérent, un peu comme la timocratie et l’oligarchie. Au lieu de cela, la démocratie souffre des échecs des systèmes susmentionnés dans la mesure où elle donne la priorité à l’accumulation de la richesse et de la propriété comme le plus grand bien. Pire encore, la démocratie embrasse la liberté totale (que Platon appelle « anarchie ») et des « appétits » inutiles, qui évincent les responsabilités de gouvernance vertueuse du dirigeant, contrôlent l’âme démocratique.
Les mouvements politiques récents dans des pays comme les États-Unis, la France et l’Allemagne, montrent que la critique de Platon sur la tendance de la démocratie à abriter des éléments tyranniques est particulièrement saillante. Les divisions culturelles qui ont marqué l’élection de 2016 aux États-Unis reflètent celles que Platon décrit comme des signes de descente vers la tyrannie, la démagogie étant la tactique favorite du candidat vainqueur. Les objectifs du candidat gagnant semblent également être l’accumulation de richesses pour une poignée de privilégiés, ce que Platon décrie comme une éventualité de la démocratie. Un principe central de la démocratie américaine est que le peuple fera le choix le plus juste lors de son vote, pourtant il apparaît maintenant que les préoccupations de Platon concernant les libertés manifestes du système étaient valables.
Cependant, l’affirmation de Platon selon laquelle la valorisation de la richesse conduit nécessairement à la tyrannie est problématique. D’une part, elle ne permet pas de comprendre pourquoi les États-Unis et de nombreuses autres démocraties dans le monde ont élu des dirigeants vertueux. La descente vers la tyrannie ne s’est pas produite en dépit de la relation indéniable entre l’identité américaine et le capitalisme. Le portrait de la démocratie brossé par Platon n’explique ni la gouvernance vertueuse ni les raisons pour lesquelles les individus délaissent leur vie privée lucrative pour une vie publique scrutée. L’idée que le leadership vertueux n’est possible que sous une élite aristocratique ne répond pas à de nombreuses constatations modernes. En outre, la caractérisation par Platon de la démocratie comme étant incapable de contrôler les appétits inutiles ignore le rôle des institutions politiques dans la mise en place de contrepoids au pouvoir. Platon reproche à la démocratie de ne pas établir de critères pour ses dirigeants alors qu’en fait, les démocraties d’aujourd’hui sont régies par des constitutions qui fixent les paramètres de ceux qui peuvent gouverner. Même en présence d’un démagogue, la démocratie reste enracinée.
Plato fournit également une caractérisation trouble de la raison pour laquelle la cité juste doit dégénérer en tyrannie. Il fait appel à » un chiffre géométrique (qui) décide quand l’engendrement sera de saison et quand il ne le sera pas « , et que se tromper sur ce chiffre magique conduit à des gouvernants à la fortune médiocre. Si la nature juste d’une cité est construite sur la conception du nombre magique, alors comment peut-elle être plus efficace pour assurer la justice qu’une société régie par l’égalité ? Cela soulève également des questions sur la nature des rois philosophes, qui choisissent des individus imparfaits pour devenir leurs successeurs.
La critique de la démocratie par Platon offre un aperçu intéressant des succès et des échecs de la gouvernance moderne. Les leçons tirées de ses mises en garde contre le potentiel de démagogie et les dangers de la recherche de richesse sont plus que jamais pertinentes dans le climat politique actuel. Cependant, il est important de repousser certaines parties de la critique platonicienne de la démocratie ; à savoir, ses affirmations sur l’inévitabilité de la tyrannie et le manque de vertu des dirigeants démocratiques ne sont pas charitables, surtout au vu des caractéristiques des démocraties modernes.
Notes de bas de page :
Platon, Richard W. Sterling et William C. Scott. « Livre II. » La République. New York : Norton, 1996. 64. Imprimer.
Platon, Richard W. Sterling, et William C. Scott. « Livre VII. » La République. New York : Norton, 1996. 235-261. Imprimer.
Ibid., 238.
Ibid., 239.
Ibid., 242.