Joseph Bonaparte : Du roi d’Espagne au New Jersey

Joseph Bonaparte par Charles Willson Peale, 1820

Joseph Bonaparte par Charles Willson Peale, 1820

Joseph Bonaparte était à bien des égards l’opposé de son frère cadet Napoléon. Amiable et serviable, Joseph aimait la littérature, le jardinage et les distractions. Il est parfaitement heureux de passer ses journées à potasser son domaine. Napoléon, quant à lui, a de plus grands projets pour son frère, notamment le trône d’Espagne. Après la défaite de Napoléon en 1815, Joseph s’enfuit aux États-Unis, où il est crédité d’avoir apporté la culture européenne aux locaux.

Confident de Napoléon

Joseph Bonaparte est né à Corte, en Corse, le 7 janvier 1768. Il était l’aîné des huit enfants de Charles et Letizia Bonaparte (pour la liste complète, voir l’arbre généalogique de Napoléon), et un an et demi de plus que leur deuxième enfant, Napoléon. Napoléon est devenu plus proche de Joseph que de ses autres frères et sœurs. Ils passent leur petite enfance ensemble à Ajaccio. À la fin de l’année 1778, ils quittent ensemble la Corse pour aller faire leurs études en France. Joseph avait été marqué pour la prêtrise, il a donc commencé des études classiques dans un collège à Autun, tandis que Napoléon est allé à l’école militaire de Brienne.

Joseph Bonaparte ne voulait pas être prêtre. Il voulait, comme Napoléon, être officier d’artillerie. Lorsque Charles Bonaparte est mourant, il fait promettre à Joseph d’abandonner toute idée de suivre une carrière militaire et de revenir plutôt en Corse pour se consacrer aux tâches familiales. A la mort de son père, début 1785, Joseph devient le chef de famille. Il s’occupe de la ferme et du vignoble et aide Letizia à subvenir aux besoins de ses jeunes frères et sœurs. En 1787, sur les conseils de son grand-oncle, Joseph part en Toscane pour s’inscrire à l’université de Pise. L’année suivante, il obtient un diplôme de droit. Cela lui permet d’acquérir un emploi dans le système judiciaire franco-corse.

Joseph et Napoléon travaillent ensemble pour faire avancer les intérêts familiaux et la cause révolutionnaire française en Corse. En 1790, Napoléon – alors officier de l’armée – aide Joseph à se faire élire au conseil municipal d’Ajaccio.

Après être entré en conflit avec le leader nationaliste corse Pasquale Paoli en 1793, les Bonaparte s’enfuient en France. Grâce à l’aide d’un ami de la famille, Joseph a pu obtenir un emploi d’intendant de l’armée dans le sud de la France. Pendant son séjour à Marseille, Joseph rencontre Marie Julie Clary, la fille d’un riche marchand. Bien que peu attirante physiquement, Julie est intelligente et a un bon caractère. Letizia l’apprécie et, soucieuse de la fortune de la jeune femme, pense qu’elle sera un bon parti pour son fils. Le 1er août 1794, Joseph et Julie se marient.

Napoléon courtise Désirée, la jeune sœur de Julie, mais son père décide qu’un Bonaparte dans la famille est suffisant. Napoléon a de toute façon perdu tout intérêt pour Désirée une fois qu’il s’est engagé avec Joséphine. Désirée épouse le général Jean Bernadotte. Dans l’un des étranges rebondissements de l’histoire, elle devint plus tard la reine de Suède.

Philip Dwyer, dans son excellente biographie de Napoléon, suggère que Napoléon n’a peut-être manifesté de l’intérêt pour Désirée que comme moyen de se rapprocher de Joseph, qui favorisait ce mariage. (1) Napoléon aimait certainement son frère. En juin 1795, il écrit à Joseph :

Dans quelque circonstance que la fortune vous place, vous savez bien, mon ami, que vous ne pouvez avoir un ami meilleur ou plus cher que moi, ou qui souhaite plus sincèrement votre bonheur. La vie n’est qu’un rêve fragile, bientôt terminé. Si vous partez, et si vous pensez que ce sera pour quelque temps, envoyez-moi votre portrait. Nous vivons ensemble depuis tant d’années, si étroitement unis, que nos cœurs ne font plus qu’un, et vous savez mieux que quiconque combien le mien vous appartient entièrement. En écrivant ces lignes, je ressens une émotion que j’ai rarement éprouvée. Je crains qu’il ne se passe beaucoup de temps avant que nous nous revoyions, et je ne peux pas écrire davantage. (2)

A mesure que la fortune de Napoléon s’élève, celle de Joseph aussi. Il accompagne brièvement Napoléon lors de la campagne d’Italie. En 1797, il est élu député corse au Conseil des Cinq-Cents. Peu après, il est nommé ambassadeur de France à la cour de Parme, puis à Rome.

Les frères restent proches. Napoléon charge Joseph d’administrer sa fortune, de veiller aux intérêts familiaux et de garder un œil sur Joséphine lorsqu’il est absent en Égypte. Pendant la campagne d’Égypte, Napoléon apprend la liaison de Joséphine avec un officier nommé Hippolyte Charles. Il écrit à Joseph :

Vous êtes la seule personne qui me reste en ce monde. Votre amitié m’est très chère ; si je la perdais, ou si vous me trahissiez, rien ne pourrait m’empêcher de devenir un misanthrope. C’est un triste état de choses que de concentrer toutes ses affections sur une seule personne. Vous comprendrez ce que je veux dire. (3)

Instrument de Napoléon

Joseph Bonaparte, devenu un homme riche, achète un hôtel particulier rue du Rocher à Paris. Il achète également le château et les vastes terres de Mortefontaine, à quelque 19 miles au nord de la ville. Joseph et Julie ont eu deux filles (une troisième est morte peu après sa naissance) : Zénaïde, née le 8 juillet 1801, et Charlotte (dite Lolotte), née le 31 octobre 1802.

Joseph entreprend d’améliorer son domaine. Il se serait contenté de vivre la vie d’un gentilhomme de campagne. Comme le dit un biographe du début du XXe siècle :

Il avait un élément de paresse dans son caractère, une disposition à se reposer et à jouir tranquillement des bonnes choses qu’il possédait d’une manière digne. Dans les débats des Cinq-Cents, il prit peu de part, et à la fin de son mandat, il ne se représenta pas. (4)

Napoléon, cependant, avait d’autres projets pour son frère. Dans un premier temps, il l’utilisa comme diplomate, non pas en raison des talents de négociateur de Joseph, mais parce qu’il pouvait le contrôler. Il fait conclure à Joseph une convention avec les États-Unis à Mortefontaine (1800). Joseph préside également les négociations menant au traité de Lunéville avec l’Autriche (1801). Il représente la France dans les discussions avec l’envoyé britannique, Lord Cornwallis, qui aboutissent au traité d’Amiens (1802). Tout au long des négociations, Napoléon correspondait avec Joseph tous les jours. Il s’est également assuré que Joseph avait des aides de confiance qui pouvaient l’aider. Cornwallis a dit que Joseph Bonaparte avait

le caractère d’être un homme bien intentionné, bien que pas très capable, et dont la connexion proche avec le Premier Consul pourrait peut-être être dans une certaine mesure un frein à l’esprit de chicanerie et d’intrigue que le ministre de l’Extérieur possède si éminemment. (5)

Joseph n’était pas entièrement satisfait des contraintes de son frère. Les frictions deviennent intenses dès que Napoléon devient consul à vie (1802), puis empereur (1804). Ils s’opposent sur la question de savoir qui Napoléon – alors sans enfant – désignera comme son successeur. Joseph, en tant que frère aîné, prétend qu’il doit être reconnu comme héritier. Napoléon veut reconnaître le fils aîné de leur frère cadet Louis. Joseph refuse l’offre de Napoléon de le faire roi de Lombardie s’il renonce à toute prétention de succession au trône de France.

Roi de Naples, puis d’Espagne

En 1806, Napoléon envoie Joseph Bonaparte expulser la dynastie des Bourbons de Naples et devenir roi des Deux-Siciles. Ni Joseph ni Julie n’étaient enthousiastes à cette idée. Joseph aurait dit à Napoléon :

Laisse-moi être roi de Mortefontaine. Je suis beaucoup plus heureux dans ce domaine, dont je vois, il est vrai, la limite, mais où je me sais diffuseur de bonheur. (6)

En 1808, Napoléon envahit l’Espagne. Il offre à Joseph le trône d’Espagne (après que son frère Louis l’ait refusé). Plus exactement, il demanda à Joseph d’abdiquer le trône de Naples (le donnant à la place à leur sœur Caroline et à son mari Joachim Murat) et de se rendre en Espagne. Joseph émet de fortes réserves. Il écrit à son frère depuis Vitoria :

J’ai été proclamé ici hier. Les habitants sont fortement opposés à tout cela. Les hommes en poste sont terrifiés par l’aspect menaçant du peuple et par les insurgés….. Personne n’a encore dit toute la vérité à Votre Majesté. Le fait est que pas un seul Espagnol n’est de mon côté, à l’exception des quelques personnes qui composaient la Junte et qui voyagent avec moi. Tous les autres qui m’ont précédé ici se sont cachés, terrifiés par l’opinion unanime de leurs compatriotes. (7)

Les Espagnols considéraient les Français comme des athées et des étrangers qui ne méritaient aucune pitié. Ils appelaient Joseph Pepe Botellas (Joe Bottles) pour sa prétendue consommation excessive d’alcool (en fait, Joseph était un buveur léger). Ils découpent également des soldats français en morceaux. Joseph tente de concilier ses nouveaux sujets par des politiques modérées, tout en essayant de faire face au flot d’ordres contradictoires de Napoléon en provenance de Paris. Napoléon divise l’Espagne en six districts militaires. Il permet à ses maréchaux d’exercer une autorité indépendante sur les zones qu’ils contrôlent, sapant ainsi la domination de son frère. Joseph demande à Napoléon s’il peut démissionner ; au lieu de cela, en 1812, il est nommé commandant en chef de toutes les forces restées en Espagne.

Le 21 juin 1813, Joseph décide d’engager le duc de Wellington dans une bataille rangée à Vitoria, contre l’avis du maréchal Jourdan. Les Français perdent. Joseph galope vers la frontière. Il doit abandonner son train de bagages, qui contient des papiers privés, des tableaux retirés des palais royaux espagnols et d’autres objets de valeur appartenant à la couronne espagnole. Les Britanniques s’en sont emparés. Vous pouvez voir ces splendides toiles dans la collection de l’ancienne résidence de Wellington, Apsley House, à Londres.

Joseph retourne à Mortefontaine. Napoléon propose que Ferdinand VII – de la famille des Bourbons qu’il avait écartée pour mettre Joseph sur le trône – revienne comme roi d’Espagne et que l’amitié entre les deux pays soit cimentée par le mariage entre Ferdinand et la fille de Joseph, Zénaïde (alors âgée de 13 ans). Joseph s’y oppose. Sous une forte pression, Joseph acquiesce au transfert de la couronne d’Espagne à la Maison de Bourbon, à condition qu’il conserve son titre de roi Joseph (il n’a jamais officiellement abdiqué). Ferdinand VII remonte sur le trône, mais Zénaïde est épargnée.

Exil en Amérique

Le 30 mars 1814, lorsque les troupes alliées atteignent Paris, Joseph Bonaparte et sa famille se réfugient en Suisse. Il achète un domaine à Prangins, entre Genève et Lausanne. Lorsque Napoléon s’échappe de l’île d’Elbe en 1815, Joseph retourne à Paris pour le rejoindre. Après la seconde abdication de Napoléon, alors que celui-ci tergiverse à Rochefort en se demandant quoi faire, Joseph propose galamment de changer de place avec son frère afin que ce dernier puisse embarquer sur le brick américain – le Commerce, de Charleston – que Joseph avait affrété pour sa propre fuite. Joseph ne partit pour les États-Unis que lorsqu’il apprit que Napoléon s’était rendu au capitaine britannique Maitland du HMS Bellerophon.

Bien que le Commerce ait été inspecté deux fois par des équipes d’arraisonnement britanniques, les faux papiers de Joseph échappèrent à la détection. Il arrive à New York le 28 août 1815 avec son officier d’ordonnance espagnol Unzaga, son interprète James Carret (un Américain qui avait grandi dans le nord de l’État de New York), son cuisinier François Parrot et son secrétaire Louis Mailliard. On raconte que le député Henry Clay libéra sa suite d’hôtel pour que Joseph ait un endroit où loger. Joseph laisse Julie et les filles à Paris. Ils s’installent ensuite à Francfort, puis à Bruxelles.

Les Américains sont impressionnés d’avoir un roi parmi eux, mais décident de l’ignorer officiellement. Lorsque Joseph se mit en route pour Washington avec l’intention de rencontrer le président Madison, il fut intercepté et on lui dit qu’une rencontre ne pouvait pas avoir lieu.

Procédant jusqu’à la taverne douze miles au-delà de Baltimore… une personne l’y rencontra de Washington, semi-officiellement, pour lui expliquer que sa visite au siège du gouvernement était non seulement inutile, mais ne serait pas acceptable. M. Monroe, qui désirait alors la présidence, appréhendait, disait-on, qu’un Bonaparte ou ses partisans accueillis à Washington puisse susciter l’ombrage, et, peut-être, se révéler préjudiciable à un candidat. (8)

S’efforçant de rester quelque peu incognito, Joseph prit le titre de comte de Survilliers, d’après une petite propriété qu’il possédait près de Mortefontaine. Il réussit à transférer une grande partie de sa fortune aux États-Unis, où il l’investit. Il loue une maison à Philadelphie et achète un domaine appelé Point Breeze à Bordentown, dans le New Jersey. Il acheta également une grande étendue de terre dans le nord de l’État de New York, à laquelle il apporta de nombreuses améliorations. Cette dernière contenait un lac de 1 200 acres que Joseph a nommé Lake Diana, d’après la déesse de la chasse. Il est maintenant connu sous le nom de lac Bonaparte.

Les maisons de Joseph sont devenues des lieux de rassemblement pour d’autres exilés napoléoniens, notamment Charles et Henri Lallemand et Charles Lefebvre-Desnouettes. Il a généreusement contribué à la Société pour la culture de la vigne et de l’olive des exilés français.

Comme vous pouvez le voir par la liste des invités à la fête d’anniversaire de Napoléon à Point Breeze dans Napoléon en Amérique, Joseph a développé des amitiés avec de nombreux Américains éminents, y compris Charles Stewart (sa maison, « Old Ironsides », était voisine de Point Breeze), Joseph Hopkinson, Nicholas Biddle, Charles Ingersoll et Stephen Girard. Il fut élu membre de l’American Philosophical Society, où il rencontra d’autres grands et bons Américains.

Joseph Bonaparte était bien vu dans son nouveau pays.

Ses manières étaient pleines de grâce, d’élégance et de fadeur ; son cœur était plein de sentiments humains ; son esprit était bien équilibré, et toutes ses vues sur la vie étaient modérées et gaies. Partout où il était connu, il était respecté ; et ceux qui l’avaient aimé une fois, l’aimaient toujours. (9)

Bien que le bruit courut que Joseph était impliqué dans des complots visant à sauver Napoléon de Sainte-Hélène, rien de précis ne lui fut jamais attribué. De même, il se tient à l’écart de l’invasion du Texas par Charles Lallemand et d’autres intrigues. Selon le neveu de Joseph, Louis-Napoléon, alors que Joseph vivait à Bordentown, une députation de révolutionnaires mexicains lui offrit la couronne mexicaine. Joseph répondit :

J’ai porté deux couronnes ; je ne ferais pas un pas pour en porter une troisième. Rien ne peut me gratifier davantage que de voir des hommes qui ne voulaient pas reconnaître mon autorité quand j’étais à Madrid, venir maintenant me chercher en exil, pour que je sois à leur tête ; mais je ne pense pas que le trône que vous voulez relever puisse faire votre bonheur. Chaque jour que je passe dans la terre hospitalière des États-Unis me prouve plus clairement l’excellence des institutions républicaines pour l’Amérique. Conservez-les donc comme un don précieux du ciel. (10)

Joseph Bonaparte & Point Breeze

Le 4 janvier 1820, la maison de Joseph à Point Breeze fut détruite par un incendie. Il était absent à ce moment-là, et ses voisins se sont précipités pour sauver autant de ses possessions qu’ils le pouvaient, un fait qui a profondément touché Joseph.

Point Breeze, domaine de Joseph Bonaparte à Bordentown, New Jersey

Point Breeze, domaine de Joseph Bonaparte à Bordentown, New Jersey

Joseph reconstruisit la maison – en la modelant d’après Prangins – et créa un vaste parc et des jardins. Il s’arrangea pour faire transporter d’Europe une grande partie de ses meubles, tapis, peintures, tapisseries, sculptures, vins et effets personnels. On disait que c’était la maison la plus impressionnante des États-Unis après la Maison Blanche. La bibliothèque de Joseph contenait la plus grande collection de livres du pays – quelque 8 000 volumes.

Elle avait son grand hall et son escalier ; ses grandes salles à manger, sa galerie d’art et sa bibliothèque ; ses piliers et ses manteaux de marbre, couverts de sculptures d’une facture merveilleuse ; ses statues, ses bustes et ses peintures d’un rare mérite ; ses lourds lustres, et ses tentures et tapisseries, frangées d’or et d’argent. Avec les grandes portes pliantes finement sculptées de l’entrée, les serviteurs et les assistants en livrée, elle avait l’air d’être la résidence d’un étranger distingué, peu habitué à la simplicité de nos compatriotes. Une belle pelouse s’étendait à l’avant, et un grand jardin de fleurs et de plantes rares, entrecoupé de fontaines et d’animaux ciselés, à l’arrière. Le parc… était traversé par près de douze milles d’allées et de pistes cavalières, serpentant entre des pins et des chênes en grappes, et plantées sur chaque tertre de statues. (11)

En Amérique, Joseph s’adonnait à son penchant pour la lecture, l’art, le jardinage et les divertissements. Le terrain de Point Breeze était souvent ouvert, et il recevait les visiteurs de la maison avec une généreuse hospitalité. Il aime particulièrement montrer sa galerie d’art, qui contient, entre autres, une version du tableau de Napoléon traversant les Alpes par Jacques Louis David et une copie de la sculpture de Canova représentant une Pauline Bonaparte allongée. Les habitants sont apparemment choqués par la nudité de Pauline. Dans l’espoir d’encourager les beaux-arts aux États-Unis, Joseph accueille des artistes, des voisins et des touristes. Il prête généreusement des œuvres de sa collection pour des expositions à l’Académie des Beaux-Arts de Pennsylvanie et dans d’autres endroits. On dit qu’il a été « l’un des catalyseurs les plus importants de la diffusion de la culture et des connaissances artistiques européennes aux Américains du début du XIXe siècle. » (12)

Comme l’a écrit l’ami de Joseph, Joseph Hopkinson :

Quel monarque détrôné a eu plus de chance que lui de tomber de cette façon ? Généralement, ils sont devenus des mendiants à l’aide, ou des retraités ou des prisonniers. Il s’agit donc d’un changement plutôt que d’une chute. (13)

En 1818, Joseph écrit à Julie qu’il est malheureux car il est isolé. À cette époque, il prend une maîtresse, Ann (Annette) Savage, une plantureuse vendeuse. Il l’installe dans une maison près de Point Breeze. Joseph était un homme à femmes avant même de quitter la France. Julie était au courant de ses aventures et les tolérait. Malgré les critiques de la population locale, Joseph engendre deux enfants avec Annette : Pauline, née en 1819, et Caroline Charlotte, née en 1822. En décembre 1823, Pauline est tuée par la chute d’une jardinière dans le jardin de Joseph. Peu après cette tragédie, Joseph dépêche Anna à Paris, en la payant pour qu’elle ne publie pas ses mémoires.

La fille de Joseph et de Julie, Charlotte – qui reste apparemment ignorante de la liaison de son père – vient lui rendre visite au début de 1822. La même année, Zénaïde épouse le fils de Lucien Bonaparte, Charles Lucien Bonaparte, ornithologue. En 1823, ils viennent s’installer à Point Breeze. Joseph construit et décore pour eux une maison séparée, connue sous le nom de Lake House, reliée par un tunnel à la maison principale. Leur fils aîné, Joseph-Lucien-Charles-Napoléon, est né à Philadelphie le 13 février 1824, suivi d’une fille, Alexandrine, le 9 juin 1826.

Joseph entame une liaison avec Émilie Lacoste. Elle était la jeune épouse (née en 1798) du Français Félix Lacoste, qui était parti à Saint-Domingue. Il avait laissé Émilie en résidence à Point Breeze comme compagne pour Charlotte et Zénaïde. On pense que Joseph était le père des fils jumeaux d’Émilie, nés le 22 mars 1825, dont un seul – Félix-Joseph – a survécu.

Retour en Europe

Charlotte retourne en Europe en 1824. En 1826, elle épouse le fils de Louis, Napoléon Louis Bonaparte. Charles et Zénaïde partent pour l’Europe en 1828. Ses filles et ses petits-enfants manquent cruellement à Joseph. Il est fatigué de l’exil et s’identifie toujours à la France, n’ayant jamais abandonné la cause bonapartiste. Après la révolution de juillet 1830, qui renverse le roi Bourbon Charles X, Joseph plaide pour la reconnaissance de la revendication du fils de Napoléon, le duc de Reichstadt, au trône de France. Il achète le journal américain libéral de langue française Le courrier des États-Unis et l’utilise comme organe pour promouvoir sa cause.

Espérant faire avancer la cause bonapartiste en personne, Joseph s’embarque pour l’Europe en 1832. Il offrit à plusieurs de ses amis américains des œuvres de sa collection en guise de cadeau d’adieu. Lorsque son navire accoste à Liverpool le 24 juillet, il apprend avec tristesse que son neveu, le duc de Reichstadt, est mort deux jours plus tôt. Pendant son séjour à Londres, Joseph reçoit la visite de son ancien ennemi, le duc de Wellington. Il rendit la visite à Apsley House, où il fut étonné de voir la statue en marbre de Napoléon par Canova. En 1835, Joseph retourna aux États-Unis.

Les bonapartistes voyaient désormais Joseph Bonaparte comme le détenteur légitime du trône de France. Il ne fit pas grand-chose pour faire avancer sa revendication. Il était convaincu que seul un mouvement populaire spontané pourrait restaurer les Bonaparte. Joseph désapprouve la tentative de coup d’État de son neveu Louis-Napoléon à Strasbourg en octobre 1836. Il pensait que cela usurpait ses propres droits dynastiques et détruisait toute possibilité pour les Bonaparte de revenir en France. Lorsque Louis-Napoléon est déporté aux États-Unis et qu’il tente de rendre visite à Joseph, ce dernier lui répond :

Vous avez rompu les liens qui m’attachent à vous en vous croyant capable de prendre ma place et celle de votre père. Je veux désormais que vous me laissiez en paix dans ma retraite. (14)

Joseph Bonaparte retourne en Angleterre en 1836-37. Il retourne aux États-Unis pour une dernière visite en 1837-39. Il se trouvait à Philadelphie lorsqu’il apprit le décès de Charlotte en mars 1839. Joseph retourne en Angleterre et loue une maison dans le Cavendish Square de Londres. En juin 1840, il subit une grave attaque qui paralyse son côté droit. Il s’installe en Italie pour passer les derniers jours de sa vie avec Julie et ses frères. Il a une nouvelle attaque en août 1843. Joseph Bonaparte meurt le 28 juillet 1844, à l’âge de 77 ans, il est enterré dans l’église Santa Croce de Florence.

Après le décès de Joseph Bonaparte

Julie meurt le 7 avril 1845. En 1854, Zénaïde et Charles se séparent. Zénaïde meurt plus tard la même année.

Joseph Bonaparte avait laissé Point Breeze à son petit-fils aîné Joseph. Ce dernier a vendu le contenu du domaine lors de deux ventes aux enchères spectaculaires bondées d’acheteurs. De nombreux Américains possèdent (ou prétendent posséder) des objets ayant appartenu à Joseph Bonaparte. Un certain nombre de musées locaux, dont le New Jersey State Museum, l’Athenaeum de Philadelphie et le Philadelphia Museum of Art, en exposent certains. Le manoir lui-même a été démoli par un propriétaire ultérieur, tout comme la maison de Joseph dans le nord de New York.

En juin 1862, Louis-Napoléon (Napoléon III) fait inhumer la dépouille de Joseph aux Invalides à Paris lors d’une cérémonie de dix minutes. Bien qu’il se soit réconcilié avec Joseph avant la mort de ce dernier, Napoléon III ne prend pas la peine d’y assister. Les seuls Bonaparte présents étaient plusieurs des filles de Lucien qui se trouvaient par hasard à Paris.

En 1839, la fille de Joseph avec Annette Savage, Caroline Charlotte, épouse Zebulon Howell Benton à New York. Pris par l’idée d’être le gendre d’un roi et le neveu de Napoléon, Benton insiste pour une cérémonie somptueuse. Il est connu pour porter un chapeau de style napoléonien tourné sur le côté et aime se faire photographier la main dans son manteau, imitant ainsi Napoléon. Il a rapidement épuisé la dot de 30 000 dollars que Joseph lui avait fournie. Caroline Charlotte, avec leurs cinq enfants (deux nommés Zénaïde et Charlotte), finit par le quitter et enseigne le français à Philadelphie. Elle mourut en 1890.

Joseph dit à Julie, après le désastre espagnol :

En dépit des désaccords qui ont existé entre l’Empereur et moi, il est vrai de dire ma chère, qu’il reste l’homme que j’aime le plus au monde. (15)

Pour sa part, Napoléon, en exil à Sainte-Hélène en 1817, a déclaré au médecin britannique Barry O’Meara:

Joseph, bien qu’il ait beaucoup de talent et de génie, est un homme trop bon, et trop amateur d’amusement et de littérature, pour être un roi. (16)

Rick Wright a publié quelques photos des terrains de Point Breeze sur son site Birding New Jersey and the World.

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Descendants vivants de Napoléon et des Bonaparte

  1. Philip Dwyer, Napoléon : The Path to Power (New Haven &Londres, 2007), pp. 160-161.
  2. La correspondance confidentielle de Napoléon Bonaparte avec son frère Joseph, tome I (Londres, 1855), pp. 4-5.
  3. Ibid, p. 40, 25 juillet 1798. Cette lettre, dans laquelle Napoléon épanche son cœur à Joseph, est interceptée par la flotte de l’amiral Nelson et publiée dans le Morning Chronicle de Londres. Les Britanniques – et les Français, lorsqu’ils en eurent connaissance – s’en moquèrent beaucoup.
  4. A. Hilliard Atteridge, Napoleon’s Brothers (Londres, 1909), p. 48-49.
  5. Charles Ross, Correspondance de Charles, premier marquis Cornwallis, tome III (Londres, 1859), p. 395.
  6. Laure Junot, Mémoires de la duchesse d’Abrantès, tome V (Londres, 1833), p. 63.
  7. A. du Casse, éd, Mémoires et Correspondance Politique et Militaire du Roi Joseph, vol. 4 (Paris, 1854), p. 343 (12 juillet 1808).
  8. Charles J. Ingersoll, Histoire de la deuxième guerre entre les États-Unis d’Amérique et la Grande-Bretagne, deuxième série, vol. 1 (Philadelphie, 1853), p. 380.
  9. Charles Edwards Lester et Edwin Williams, The Napoleon Dynasty, or the History of the Bonaparte Family (New York, 1856), p. 387-388.
  10. Napoléon III, The Political and Historical Works of Louis Napoleon Bonaparte, Vol. II (Londres, 1852), p. 143.
  11. E.M. Woodward, Bonaparte’s Park, and The Murats (Trenton, N.J., 1879), p. 42.
  12. Wendy A. Cooper, Classical Taste in America, 1800-1840 (Baltimore et New York, 1993), p. 68.
  13. Burton Alva Konkle, Joseph Hopkinson, 1770-1842 (Philadelphie, 1931), p. 340.
  14. Patricia Tyson Stroud, The Man Who Haden King : The American Exile of Napoleon’s Brother Joseph (Philadelphie, 2005), p. 188.
  15. Ibid, p. 12.
  16. Barry E. O’Meara, Napoleon in Exile ; or A Voice from St. Helena, Vol. 1 (New York, 1885), p. 221.

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