Héros : ce qu’ils font et pourquoi nous en avons besoin

Par Scott T. Allison

Ce billet de blog est extrait de :

Allison, S. T. (2019). La conscience héroïque. Heroism Science, 4, 1-43.

Le philosophe Yuval Noah Harari (2018) a récemment décrit la conscience comme « le plus grand mystère de l’univers ».

Qu’est-ce que la conscience héroïque exactement ? C’est une façon de voir le monde, de percevoir la réalité et de prendre des décisions qui conduisent à un comportement héroïque. Les êtres humains font preuve de conscience héroïque en employant la stratégie non dualiste qui consiste à unifier des expériences disparates en des ensembles intégrés, en s’engageant dans un traitement éclairé des phénomènes transrationnels et en acquérant la sagesse de savoir quand, comment et si l’on doit agir héroïquement.

La conscience héroïque consiste à être conscient des pensées, à les utiliser judicieusement, mais à ne pas être conduit de manière obsessionnelle par elles. C’est avoir un ego mais ne pas en être l’esclave. C’est savoir quand une action héroïque est nécessaire et quand elle ne l’est pas.

J’ai identifié quatre signes révélateurs qu’un individu a fait l’expérience de la conscience héroïque. Les quatre caractéristiques de la conscience du héros comprennent la tendance à faire preuve de clarté et d’efficacité dans : (1) voir le monde à partir d’une perspective non dualiste ; (2) traiter les phénomènes transrationnels ; (3) faire preuve d’une conscience unitive ; et (4) faire preuve de sagesse pour savoir quand agir héroïquement et quand ne pas agir lorsque l’action serait nuisible.

1. La pensée non dualiste

Un élément central de la conscience héroïque est l’utilisation par le héros de l’approche mentale et spirituelle de la vie connue sous le nom de pensée non dualiste (Jones, 2019 ; Loy, 1997 ; Rohr, 2009). Les héros sont adeptes des approches mentales dualistes et non dualistes. Les héros maîtrisent d’abord la pensée dualiste, la capacité de partitionner et d’étiqueter le monde lorsque cela est nécessaire, puis ils apprennent à aller au-delà de cette pensée binaire en voyant une réalité riche et nuancée qui défie les compartiments mentaux simples.

Cynthia Bourgeault (2013) décrit cet état d’esprit psychologique plus riche comme une pensée de troisième force qui transcende l’état d’esprit rigide des dualités. Une solution de troisième force à un problème est « une force indépendante, coéquipière des deux autres, et non un produit des deux premières comme dans la thèse, l’antithèse et la synthèse classiques de Hegel » (p. 26).

Les psychologues savent depuis un demi-siècle que la cognition humaine est caractérisée par un besoin de simplifier et de catégoriser les stimuli (Fiske & Taylor, 2013). Parce que nos vies incluent des rencontres quotidiennes avec une gamme de phénomènes qui défient la simple pensée dualiste, il est d’une importance cruciale que nous nous engagions dans des approches de troisième force qui accèdent à nos intuitions plus profondes et à nos sensibilités artistiques.

Les solutions de troisième force aux problèmes sont des solutions innovantes et héroïques. À mon avis, il est crucial que nous mettions l’accent sur les approches de pensée non dualiste de troisième force dans l’éducation précoce pour aider à promouvoir des états d’esprit héroïques chez les jeunes enfants.

Contrairement à la pensée dualiste, la pensée non dualiste résiste à une définition simple. Elle voit des subtilités, des exceptions, du mystère et une image plus large. La pensée non dualiste fait référence à une contemplation plus large, dynamique, imaginative et plus mature des événements perçus (Rohr, 2009). Une approche non dualiste de la compréhension de la réalité est ouverte et patiente face au mystère et à l’ambiguïté. Les penseurs non dualistes voient la réalité clairement parce qu’ils ne permettent pas à leurs croyances, attentes et préjugés antérieurs d’affecter leur perception consciente des événements et des rencontres avec les gens.

Abraham Heschel (1955) l’a décrit comme la capacité de laisser le monde venir à nous plutôt que nous venir au monde avec des catégories préconçues qui peuvent biaiser nos perceptions. « Notre objectif devrait être de vivre la vie dans un étonnement radical », a écrit Heschel. « L’émerveillement ou l’étonnement radical, l’état d’inadaptation aux mots et aux notions, est donc une condition préalable à une conscience authentique de ce qui est » (p. 46-47, italiques ajoutés).

Rohr (2009) décrit la pensée non dualiste comme « une vision calme, sans ego » et « la capacité de garder vos espaces de cœur et d’esprit ouverts assez longtemps pour voir d’autres matériaux cachés » (p. 33-34). Selon Rohr, ce type de perspicacité se produit chaque fois que « par une merveilleuse coïncidence, notre espace du cœur et de l’esprit, et notre conscience du corps sont tous simultanément ouverts et sans résistance » (p. 28).

Les philosophies spirituelles asiatiques décrivent la vision non dualiste comme le troisième œil, qui est la capacité éclairée de voir le monde avec équilibre, sagesse et clarté. Les protagonistes héroïques de la littérature sont souvent contraints de voir le monde à ces niveaux plus profonds en traversant le voyage du héros, qui implique une descente dans une situation désespérément difficile et douloureuse. Au cours de ces moments les plus sombres, les héros réalisent que leur simple mentalité dualiste ne fonctionne plus pour eux.

La conscience pré-héroïque doit être rejetée, ce qui permet aux héros d’atteindre la clarté et d’accumuler des idées qui changent la vie sur eux-mêmes et le monde (Allison & Goethals, 2014). Nous sommes tous appelés à faire l’expérience d’une conscience transformatrice, expansive et non dualiste, et nous y arrivons généralement à travers un grand amour (Rohr, 2011) ou une grande souffrance (Allison & Setterberg, 2016).

Mais tout le monde n’y arrive pas. Certains restent tristement bloqués au niveau de la conscience dualiste. Les penseurs dualistes ont une conscience divisée qui contribue à perpétuer tous les « ismes » nuisibles de la société – racisme, sexisme, classisme, âgisme et nationalisme, pour n’en citer que quelques-uns. Les personnes divisées ont tendance à diviser les gens.

Si la pensée non dualiste reflète une conscience plus héroïque que la pensée dualiste, comment adopter une approche non dualiste du monde ? Je crois qu’il existe au moins deux voies pour atteindre la pensée non dualiste. La première consiste en l’idée d’Abraham Heschel d’aborder le monde avec une ouverture et une réceptivité à la crainte, à l’émerveillement et à la gratitude (Burhans, 2016). Heschel appelait cela l’émerveillement radical. Nos pensées resserrent ce que nous pouvons voir, selon Heschel (1955, p. 47) : « Alors que tout acte de perception ou de cognition a pour objet un segment sélectionné de la réalité, l’étonnement radical se réfère à toute la réalité ».

Les recherches montrent que la formation à la méditation en pleine conscience peut aider à éteindre le processus initial d’étiquetage et de catégorisation et ainsi mieux permettre aux gens de voir le monde tel qu’il est plutôt que tel que nous le « pensons » (Jones, 2019). Dans son livre Blink, Malcom Gladwell (2007) soutient que passer moins de temps à réfléchir et à se fier à ses intuitions immédiates engendre souvent une plus grande clarté sur le monde.

Cette première voie vers la pensée non dualiste exige que nous adoptions des pratiques qui nous encouragent à aborder le monde avec plus d’émerveillement, de crainte, d’ouverture, d’intuition, de sentiment et de sensibilité artistique. L’adoption de ces pratiques inhibe notre prédilection à former des partitions mentales rapides du monde qui limitent notre capacité à voir le monde de façon plus large, profonde, holistique, héroïque et avec un étonnement plus radical.

La deuxième voie vers la pensée non dualiste ne cherche pas à réduire l’étiquetage mental initial mais se concentre plutôt sur la correction des étiquettes mentales après qu’elles aient déjà été générées. Il existe certaines preuves que la tendance à faire des catégorisations rapides et spontanées du monde est câblée en nous et peut donc être très difficile à éviter (Pendry & Macrae, 1996).

La conscience de ce modèle est essentielle pour y remédier. Si nous nous surprenons à diviser le monde de façon dualiste dans notre esprit, nous pouvons prendre conscience de cette pensée binaire initiale et ensuite faire une pause pour apporter les corrections nécessaires. S’engager dans des ajustements mentaux qui nous aident à voir le monde en termes plus larges et plus unificateurs peut en effet être le sommet de la conscience héroïque.

Ce processus en deux étapes de jugement automatique puis de correction a été documenté comme un processus de décision humain omniprésent (par exemple, Gilbert, 1998 ; Kraft-Todd & Rand, 2017 ; Tversky & Kahneman, 1974). Nous sommes tous capables d’une conscience héroïque même si au départ, suite à une habitude profondément ancrée, nous faisons preuve d’une conscience pré-héroïque dualiste. Le défi consiste ici à s’assurer que nous effectuons la correction complète. La recherche montre que les gens ont tendance à porter des jugements initiaux erronés et à ne pas les corriger suffisamment (Fiske & Taylor, 2013). La conscience accrue d’un individu héroïquement conscient ne permettra pas que cela se produise.

Il existe de nombreux exemples historiques de l’utilisation héroïque de la conscience non dualiste. John F. Kennedy a utilisé la pensée non duelle dans sa réponse à la crise des missiles cubains en 1962. Un an auparavant, Kennedy et ses conseillers avaient été humiliés par les conséquences de leur réaction dualiste à l’invasion de Cuba par la baie des Cochons. Tirant les leçons de cet échec, Kennedy a patiemment envisagé de nombreuses réponses possibles à la crise des missiles plutôt que de prendre la décision d’entrer en guerre ou de ne rien faire. Il s’est contenté d’un blocus militaire naval qui a gentiment diffusé la crise et évité une épreuve de force nucléaire avec les Soviétiques.

L’utilisation par Mahatma Gandhi de la résistance non violente et passive est un autre exemple frappant de pensée non dualiste. Plutôt que d’envisager la lutte pour l’indépendance de l’Inde comme une révolution violente ou une soumission totale, Gandhi a développé une stratégie ingénieuse de résistance pacifique qui est devenue un modèle de changement social dans le monde entier.

Martin Luther King, Jr. a pratiqué cette même approche non dualiste pendant le mouvement des droits civiques aux États-Unis dans les années 1960. « La résistance non violente », a écrit King, est « une confrontation courageuse du mal par le pouvoir de l’amour » (King, 1958). Grâce à la patience, à la contemplation et à l’ouverture, une solution de troisième force aux problèmes émerge qui reflète une intelligence et une conscience supérieures.

2. Traitement des phénomènes transrationnels

La rencontre avec des expériences qui défient l’analyse rationnelle et logique est une partie inéluctable de la vie. Une deuxième caractéristique majeure de la conscience du héros est la capacité à traiter et à comprendre ces expériences, car elles reflètent souvent les questions les plus importantes de l’existence humaine. Ces phénomènes transrationnels sont mystérieux et difficiles à appréhender pour la plupart des gens, et ils nécessitent donc une conscience héroïque pour percer leurs secrets.

Rohr (2009) a identifié cinq phénomènes transrationnels, et j’en ajouterai deux autres. Les cinq de Rohr sont l’amour, la mort, la souffrance, Dieu et l’éternité. Les deux que j’ajoute sont le paradoxe et la métaphore (voir aussi Allison &Goethals, 2014 ; Efthimiou, Bennett, &Allison, 2019). Ces sept expériences transrationnelles sont une partie omniprésente de la vie humaine, elles sont omniprésentes dans la mythologie et la narration des bons héros, et sont endémiques au voyage du héros monomythique classique tel que décrit par Joseph Campbell (1949).

Pour illustrer l’importance de la compréhension des sept expériences transrationnelles dans la narration, considérons le rôle de chacun dans le film classique de 1993, Groundhog Day, avec Bill Murray. Le film peut être résumé comme suit : Le héros, Phil Connors, est un météorologue narcissique de la télévision qui couvre le rituel annuel du Jour de la marmotte en Pennsylvanie. Phil est détestable envers tout le monde et a le béguin pour sa productrice, Rita. Il découvre bientôt que chaque jour est une répétition du jour précédent, et que personne d’autre que lui n’est conscient que le jour se répète. Le film tire une grande partie de son humour et de sa sagesse de la façon dont Phil gère son piège temporel.

Voici comment les sept phénomènes transrationnels du voyage du héros entrent en jeu :

(1) L’éternité : Le héros du Jour de la marmotte, Phil Connors, se retrouve coincé dans le temps, répétant le même jour encore et encore, apparemment pour l’éternité.

(2) Souffrance : Phil souffre énormément car il ne peut pas échapper au piège du temps. Il souffre aussi parce que, malgré tous ses efforts, il ne peut pas gagner le cœur de Rita, sa productrice.

(3) Dieu : Bien que jamais mentionné comme divin à proprement parler, une autorité extérieure ou une force surnaturelle est responsable du piégeage de Phil dans la boucle temporelle. Cette puissance mystérieuse est également responsable de la libération éventuelle de Phil de la boucle temporelle.

(4) L’amour : Phil est profondément amoureux de Rita, mais ce n’est qu’à la fin de l’histoire qu’elle lui rend son affection.

(5) La mort : Incapable de gagner le cœur de Rita ou d’échapper au piège du temps, Phil met fin à ses jours à plusieurs reprises et de plusieurs manières, pour découvrir que le suicide est pour lui impossible. Plus tard, il est incapable d’empêcher un sans-abri de mourir.

(6) Métaphore : Le jour qui se répète sans fin est une métaphore de l’ornière de la vie malheureuse qui accable la plupart de l’humanité.

(7) Paradoxe : Phil doit souffrir pour guérir. Plus Phil s’efforce de gagner le cœur de Rita, moins il y parvient. Plus il s’attache à se changer lui-même, plus il change Rita. En aidant les autres, il s’aide lui-même.

Lorsque nous sommes jeunes et pas très avancés dans nos voyages de héros, ces sept expériences transrationnelles ont tendance à submerger notre conscience pré-héroïque mal équipée. Nous avons besoin d’histoires comme Le Jour de la marmotte pour nous aider à nous éveiller à une nouvelle conscience, plus sage et plus large. Tout comme Phil Connors, la plupart des êtres humains souffrent jusqu’à ce qu’ils adoptent une conscience héroïque qui leur permette d’appréhender le monde transrationnel.

La conscience héroïque nous est accessible une fois que nous réalisons que choisir de rester inconscient nous laisse un sentiment de solitude, de déconnexion, de frustration et de misère. Je ne prétends pas que nos esprits rationnels pré-héroïques sont mauvais ; en fait, la conscience pré-héroïque est utile pour le développement sain de l’ego et la formation de l’identité au début de la vie. Phil Connors est devenu un météorologue de télévision à succès en s’appuyant uniquement sur sa conscience pré-héroïque. Je prétends seulement que la conscience pré-héroïque est insuffisante pour maîtriser les plus grands mystères de la vie impliquant les sept phénomènes transrationnels. Ces questions nécessitent une conscience plus large et plus éclairée pour être comprises, et tant que nous ne les comprenons pas, nous sommes condamnés à souffrir un peu comme Phil Connors.

Nous avons besoin à la fois d’approches dualistes et non dualistes pour naviguer avec succès dans notre monde. Pour être le maître des deux mondes, comme l’a formulé Joseph Campbell (1949), nous devons d’abord maîtriser la pensée dualiste comme l’a fait notre ami Phil Connors en devenant un compteurologue prospère. Ce succès seul n’apportera pas le bonheur. Pour échapper au piège de ce premier monde, nous devons maîtriser les approches non dualistes vers la compréhension et la navigation réussie à travers les mystères du monde transrationnel.

3. Conscience unitive

« Un être humain est une partie du tout, appelé par nous « Univers », une partie limitée dans le temps et l’espace. Il fait l’expérience de lui-même, de ses pensées et de ses sentiments comme quelque chose de séparé du reste – une sorte d’illusion d’optique de sa conscience. Cette illusion est une sorte de prison pour nous, nous limitant à nos désirs personnels et à l’affection pour quelques personnes proches de nous. Notre tâche doit être de nous libérer de cette prison en élargissant notre cercle de compassion pour embrasser toutes les créatures vivantes et la nature entière dans sa beauté. » – Albert Einstein (1950)

La conscience héroïque est une conscience non duelle, unitive, exactement comme celle décrite dans la citation d’Einstein (1950) ci-dessus. Tout en reconnaissant et en valorisant la séparation et la multiplicité individuelles, la conscience héroïque voit et cherche l’unification.

Joseph Campbell (1988) aimait raconter l’histoire de deux policiers hawaïens appelés pour sauver la vie d’un homme sur le point de sauter vers sa mort. Alors que l’homme commençait à sauter, l’un des officiers s’est accroché à lui et a été lui-même tiré par-dessus le rebord en même temps que l’homme qu’il essayait de sauver. L’autre officier a attrapé son partenaire et a pu ramener les deux hommes en sécurité. Campbell a expliqué le comportement auto-sacrificiel du premier officier comme reflétant « une réalisation métaphysique qui est que vous et cet autre êtes un, que vous êtes deux aspects de la seule vie » (p. 138).

La conscience héroïque est la conscience de cette vérité. Campbell (1988) nous a appris que le voyage initiatique classique et mythique se termine par la découverte par le héros que « notre vraie réalité est dans notre identité et notre unité avec toute vie » (p. 138).

La métaphore de la prison mentale d’Einstein est particulièrement descriptive de la conscience pré-héroïque. Le pré-héros est piégé dans  » l’illusion  » de l’identité tribale et de la séparation du monde. Conformément à la métaphore de la prison mentale, les chefs spirituels ont qualifié notre dépendance excessive à la vie mentale d' »addiction » (Rohr, 2011) et de relation « parasitaire » (Tolle, 2005). L’effet de persévérance et le biais de confirmation en psychologie font tous deux référence à la tendance gênante des gens à s’accrocher à leurs croyances même lorsque ces croyances ont été discréditées par des preuves objectives (Fiske & Taylor, 2013).

Les histoires que nous nous racontons et auxquelles nous nous accrochons peuvent entraver le développement de notre conscience héroïque (Harari, 2018). C’est pourquoi les programmes d’entraînement des héros se concentrent sur des stratégies visant à réécrire nos scripts mentaux pour renforcer notre efficacité héroïque (Kohen et al., 2017). Le trait d’ouverture à de nouveaux modes de pensée est considéré par les psychologues comme une caractéristique centrale des individus sains (Hogan et al., 2012).

Les héros s’échappent de leurs prisons mentales et font l’expérience d’une conscience transformée lorsqu’ils s’engagent dans le processus d’expansivité de soi (Friedman, 2017), au cours duquel les frontières entre soi et les autres sont perçues comme perméables. De nombreux génies spirituels, dont Thich Nhat Hanh, Eckhart Tolle et Richard Rohr, considèrent que la conscience unitive est au cœur de leur définition de la maturité spirituelle.

Le philosophe bouddhiste Hanh (1999) écrit que les êtres humains ont tendance à croire que leurs semblables  » existent en dehors de nous comme des entités séparées, mais ces objets de notre perception sont nous …. « . Lorsque nous haïssons quelqu’un, nous nous haïssons aussi nous-mêmes  » (p. 81). Rohr (2019) souligne que la conscience est la clé pour comprendre l’unicité de l’humanité :  » La vieille blague sur le mystique qui s’approche du vendeur de hotdogs et dit :  » Fais-moi un avec tout « , passe à côté de l’essentiel. Je suis déjà un avec tout. Tout ce qui manque, c’est la conscience » (p. 1).

Dans leur liste des caractéristiques qui distinguent les héros des méchants, Allison et Smith (2015) ont fait valoir que les héros cherchent à unifier le monde alors que les méchants cherchent à le diviser. L’unification dans la perception et dans l’action tend à réduire la souffrance humaine, alors que la division dans la perception et dans l’action tend à produire de la souffrance. La conscience du héros opère donc au service de la fin de la souffrance humaine, et la conscience du méchant (et aussi parfois la conscience pré-héroïque) peut opérer au service de la production de la souffrance humaine.

La conscience héroïque est donc nécessaire pour atteindre la plénitude personnelle, la plénitude collective et le bien-être futur de notre planète.

4. Sagesse de l’autonomisation tempérée

Dans les années 1930, un théologien et philosophe nommé Reinhold Niebuhr a écrit ce qui est aujourd’hui communément appelé la prière de la sérénité (Shapiro, 2014). La prière est la suivante :

Dieu accorde-moi la sérénité d’accepter les choses que je ne peux pas changer,

Le courage de changer les choses que je peux,

Et la sagesse de savoir la différence.

La prière de la sérénité a bénéficié d’une reconnaissance mondiale considérable en raison de son adoption par presque tous les programmes de rétablissement en 12 étapes. Je crois que la prière de la sérénité contient une perspicacité brillante sur l’autorégulation héroïque et comportementale.

George Goethals et moi-même avons écrit ailleurs sur les programmes de récupération de la toxicomanie qui tirent leur efficacité de leur utilisation du voyage du héros comme plan directeur pour la croissance et la guérison (Allison & Goethals, 2014, 2016, 2017). D’autres chercheurs et guérisseurs ont également noté le parallèle entre l’héroïsme et le travail de rétablissement de la dépendance (Efthimiou et al., 2018 ; Furey, 2017 ; Morgan, 2014). La prière de la sérénité est la pièce maîtresse des programmes de rétablissement parce que la dépendance est en grande partie une maladie du contrôle (Alanon Family Groups, 2008). La prière fonctionne parce qu’elle aide les toxicomanes en voie de rétablissement à développer la sagesse de savoir quand exercer un contrôle sur leur vie et quand admettre leur impuissance.

Chacune des trois lignes de la prière de la sérénité reflète la sagesse de la conscience héroïque. Premièrement, la prière demande la sérénité d’accepter les personnes et les circonstances qui ne peuvent être changées. C’est une prière pour l’acceptation de la non-action lorsque l’action est inutile. Il faut une conscience héroïque plus profonde, plus large, pour reconnaître la futilité de l’action dans une situation qui semble appeler à l’action.

Par exemple, si un alcoolique chronique est arrêté à plusieurs reprises pour trouble de l’ordre public, et que son partenaire le sort de prison à plusieurs reprises, le partenaire peut finalement en avoir assez et décider de ne plus sortir l’alcoolique à l’avenir. Ne pas aider quelqu’un peut parfois conduire à un meilleur résultat que de l’aider. Après ne pas avoir été libéré sous caution, l’alcoolique assis en prison peut faire un examen de conscience bien nécessaire qui peut mener à son propre rétablissement et à sa guérison. Le partenaire qui n’aide pas l’alcoolique emprisonné peut être davantage un héros en ne faisant rien que par toute action qu’il peut entreprendre. Dans le cadre de la prière de la sérénité, le partenaire accepte qu’il ne peut pas changer l’alcoolique et qu’il ne peut pas arrêter le cycle des arrestations répétées pour trouble de l’ordre public. L’acceptation passive et la non-action sont parfois les réponses les plus sages et reflètent une conscience héroïque non dualiste.

Beggan (2019) appellerait cette non-action héroïque un exemple de métahéroïsme. Selon Beggan, « le métahéros agit héroïquement en n’agissant pas héroïquement, du moins en termes d’une définition plus étroite de l’action héroïque. Dans ce cas, la bonne chose peut en fait créer des difficultés et une ambiguïté morale  » (p. 13).

Beggan (2019) souligne qu’il existe un biais dans la science de l’héroïsme vers l’action plutôt que l’inaction. Son analyse met à mal l’adage selon lequel « le contraire d’un héros est un spectateur ». Il semble qu’il y ait des moments où les héros sont effectivement des spectateurs. Mais il faut une conscience éclairée pour discerner ces moments qui appellent une inaction héroïque.

Le deuxième élément de la prière de sérénité se concentre sur la prière pour avoir le courage de changer les choses qui sont changeables. Après avoir réalisé qu’il est impuissant face à l’alcoolique, le partenaire peut reconnaître qu’il a du pouvoir sur ses propres choix et attitudes. Nous ne pouvons changer que nous-mêmes, pas les autres. Il faut un courage héroïque pour ne pas aider un être cher lorsque cette aide risque de favoriser le modèle de comportement dysfonctionnel de cet être cher. De plus, il faut un courage héroïque pour prendre en charge sa propre vie en confrontant l’alcoolique au sujet du schéma dysfonctionnel, en fixant des limites avec l’alcoolique, ou peut-être même en mettant fin à la relation avec l’alcoolique.

Dans toute situation difficile, il y a toujours des choses que l’on peut changer et des options que l’on peut envisager, même s’il faut parfois beaucoup de courage pour essayer quelque chose de complètement différent et en dehors de sa proverbiale zone de confort. Il faut une conscience héroïque pour envisager toutes les choses qui peuvent être changées dans le but de faire ce qui est le mieux pour toutes les personnes concernées. Dans Le Jour de la marmotte, Phil Connors aurait pu rester au lit dans sa chambre d’hôtel pour l’éternité. Mais au lieu de cela, il a accepté son impuissance sur la boucle temporelle et s’est concentré sur le changement de la seule chose qu’il pouvait changer : lui-même.

La troisième et dernière composante de la prière de sérénité demande « la sagesse de connaître la différence » entre les choses sur lesquelles nous sommes impuissants et celles sur lesquelles nous avons du pouvoir. Cette sagesse est au cœur de la conscience comportementale héroïque, de l’autorégulation saine et de l’autonomisation sage. Je l’appelle la sagesse de l’autonomisation tempérée.

Les pré-héros ne peuvent pas facilement distinguer entre ce qu’ils peuvent contrôler et ce qu’ils ne peuvent pas, et ils ne sont pas non plus capables d’anticiper l’efficacité de leurs efforts pour contrôler les autres ou leur environnement. Par conséquent, les pré-héros peuvent facilement devenir des individus qui se mêlent de tout ou qui permettent de faire plus de mal que de bien (Beggan, 2019). Les personnes ayant une conscience héroïque possèdent la sagesse d’une autonomisation tempérée en reconnaissant la différence entre les situations qui appellent à l’action et celles qui appellent à l’inaction. L’individu héroïquement conscient a le courage de faire de grandes choses ainsi que le courage d’éviter le type de comportement d’aide qui peut être nuisible, futile, contre-productif ou inutile.