Dissection artérielle extracrânienne

La thérapie anticoagulante a été préconisée de manière constante comme le traitement de choix pour la dissection artérielle cervicale dans de nombreuses études et revues publiées,1 mais il existe peu de données factuelles pour justifier cette hypothèse. Bien que la dissection des artères cervicales soit depuis longtemps établie comme une cause d’accident vasculaire cérébral ischémique et hémorragique, le principal obstacle à la planification d’études thérapeutiques a été la perception qu’il s’agit d’un phénomène relativement rare. Cependant, les développements rapides de l’imagerie non invasive précise ont montré que la dissection des artères cervicales est une cause courante, sinon la plus courante, d’accident vasculaire cérébral ischémique chez les personnes âgées de moins de 5821>50 ans. Cela a soulevé pour la première fois le concept réaliste d’un essai thérapeutique d’anticoagulants par rapport à un traitement antiplaquettaire. Une récente revue Cochrane2 a cité un chiffre de 1000 patients dans chaque bras thérapeutique, et des chiffres similaires ont été calculés à partir de la seule étude prospective publiée à ce jour.3

La dissection artérielle peut théoriquement provoquer un accident vasculaire cérébral ischémique soit par embolie à partir du site de la déchirure intimale, soit sur le plan hémodynamique par obstruction luminale. Les données disponibles penchent fortement en faveur de l’embolie d’artère à artère comme cause la plus fréquente, et le schéma de l’infarctus cérébral dans l’AVC dû à une dissection est typique de celui observé dans d’autres types d’embolie cérébrale.4 Plus intéressant encore, des microemboles ont non seulement été détectés par Doppler transcrânien dans des dissections artérielles cervicales aiguës, mais ils sont également corrélés à la présence d’un AVC chez des patients présentant des dissections traumatiques et « spontanées « 5.

Tous ces facteurs favorisent intuitivement l’utilisation d’un traitement anticoagulant, au moins dans la phase post-AVC immédiate, afin de minimiser l’embolie distale à partir du site de la déchirure, mais les données accumulées sur la pathologie sous-jacente de la dissection indiquent que sa mécanique est plus complexe qu’on ne le pensait auparavant. L’endartériectomie carotidienne chez les patients présentant une dissection aiguë peut révéler des dissections asymptomatiques précédemment guéries dans le même vaisseau6. De plus, l’imagerie neurovasculaire montre parfois une redissection silencieuse dans la même artère cervicale chez les patients recevant des anticoagulants pour une dissection antérieure, ce qui soulève la possibilité que ces médicaments encouragent une nouvelle dissection de la paroi du vaisseau,7 bien que la plupart des observateurs pensent que cet événement est rare et ne devrait pas décourager le traitement anticoagulant.

Cependant, ces résultats soulèvent une autre mise en garde concernant l’utilisation de l’héparine ou de la warfarine en cas de dissection aiguë ; la survenue d’une hémorragie sous-arachnoïdienne insoupçonnée due à une atteinte intracrânienne, qui est probablement beaucoup plus fréquente qu’on ne le croit généralement. Les dissections peuvent suivre silencieusement le cours de la partie extracrânienne de l’artère cervicale, pour se déclarer comme une hémorragie sous-arachnoïdienne lorsqu’elles arrivent à la partie intracrânienne. La structure des vaisseaux cervicaux intracrâniens diffère de celle des artères extracrâniennes. Une fois qu’ils ont percé la dure-mère, il y a une atténuation anatomique et un affaiblissement de la média, ce qui facilite la rupture de la paroi du vaisseau, permettant au sang de traverser jusqu’à la sous-adventice, et donc dans l’espace sous-arachnoïdien8. Il est clair qu’au moindre doute, il faut procéder à une ponction lombaire pour exclure une dissection avant d’administrer un traitement anticoagulant, surtout chez les patients où les céphalées sont un symptôme majeur.

En dépit de ces réserves, la plupart des neurologues utilisent les anticoagulants en première intention dans les cas de dissection artérielle cervicale aiguë. Dans une récente enquête nationale menée auprès de neurologues canadiens, le traitement anticoagulant était le traitement de choix pour 81 % des médecins, bien qu’il soit admis qu’il ne repose que sur des bases empiriques.9 Le schéma habituel consiste à faire suivre l’héparinothérapie immédiate d’une warfarine à plus long terme pendant 3 mois, puis à décider de la suite du traitement en fonction de l’imagerie vasculaire. L’angiographie par résonance magnétique améliorée est maintenant presque aussi précise que l’angiographie par cathéter, mais sans les complications de la procédure invasive, et l’angiographie tomographique informatisée s’avère encore meilleure. L’angiographie doit être réalisée en urgence car les anomalies d’imagerie sont souvent très transitoires. L’échographie Doppler est en général décevante, même à des fins de dépistage, car bien qu’elle soit sensible aux changements de flux, elle a une portée anatomique limitée dans le col et une capacité limitée à montrer des dommages mineurs mais critiques de la paroi du vaisseau, tels que des lambeaux intimaux, des irrégularités mineures de la paroi ou de « faux » anévrismes.

En présence de ces anomalies structurelles, il est habituel de poursuivre le traitement anticoagulant pendant 3 mois supplémentaires même en l’absence de symptômes, mais si le vaisseau est redevenu normal, comme dans la plupart des cas, le traitement à l’aspirine est généralement administré pendant 3 mois supplémentaires. Dans l’artère carotide interne, les dissections se produisent 1 à 2 cm plus distalement par rapport au bulbe que dans l’athérosclérose, où la paroi passe d’une structure élastique à une structure musculaire, ce qui constitue un emplacement idéal pour la pose d’un stent si les symptômes persistent malgré une anticoagulation adéquate.10

Toutes ces incertitudes seraient dissipées si un essai contrôlé randomisé pouvait être entrepris. Deux études distinctes et indépendantes sont arrivées à des chiffres similaires pour un tel essai, impliquant un total de ≈2000 patients.2,3 Ce nombre serait important mais pas difficile à gérer en utilisant les technologies d’information actuelles. Le temps de cet essai est arrivé.

Notes de bas de page

Correspondance à John W. Norris, MD, FRCP ; St Georges Hospital Medical School, Dept of Clinical Neurosciences, St Georges Hospital, Londres, Royaume-Uni SW17 0RE. Email
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