L’exercice intense met à l’épreuve la capacité de la plupart des organes du corps, et même les fonctions vitales du cœur et du système respiratoire sont affectées. À cet égard, le cerveau occupe une position intéressante et, dans ce volume de Physiologie expérimentale, Ross et al. (2007) démontrent que la fatigue centrale, relative à la jonction neuromusculaire, se développe après un marathon. Le cerveau active les muscles mais, d’un autre côté, les muscles représentent un concurrent puissant (« le géant endormi », L. B. Rowell) pour la fourniture continue d’oxygène et de substrat dont dépend le cerveau. La fatigue centrale a été démontrée pour des contractions musculaires particulièrement lentes lors d’un exercice très intense de courte durée avec une baisse de la tension d’oxygène dans le cerveau (Rasmussen et al. 2007) et la fatigue centrale n’est pas limitée à des situations prévisibles, comme lorsque l’exercice provoque une température cérébrale élevée ou un faible taux de glucose dans le sang (Nybo & Secher, 2004). Bien que le ou les mécanismes impliqués dans la fatigue centrale restent inconnus, il est important d’élucider comment, quand et pourquoi la fatigue centrale se développe pendant l’exercice. La fatigue centrale peut être considérée comme une précaution de sécurité pour l’organisme actif afin d’équilibrer la fonction des différents organes. Inversement, un effet important de l’entraînement est d’atténuer la fatigue centrale pendant un exercice intense. En outre, la compréhension des mécanismes responsables de la fatigue centrale peut être pertinente pour le traitement des patients souffrant de maladies associées à la fatigue chronique.
Il est fascinant de voir comment le cerveau, pendant des heures, peut stresser le corps même après avoir « frappé le mur » pendant un marathon. C’est encore plus impressionnant dans un environnement de laboratoire. Le marathon fascine les physiologistes depuis le début des Jeux olympiques modernes, en tant qu’exemple d’exercice extrême. Il est classique de constater que la vitesse de course diminue sensiblement lorsque le niveau de glycogène musculaire atteint un seuil critique, ce qui nécessite de modifier la stratégie d’activation en conséquence. La dégradation du style de course suggère que les muscles ne sont plus activés idéalement et, en utilisant des techniques électrophysiologiques, Ross et al. (2007) fournissent un premier aperçu des phénomènes au sein du système nerveux central (SNC) qui, sans aucun doute, sont affectés par un exercice de longue durée.
Ross et al. (2007) utilisent l’interpolation du twitch pour exprimer l’efficacité de l’activation centrale dans le recrutement des muscles. Jusqu’à ce que Gandevia et ses collègues introduisent avec précaution la stimulation magnétique transcrânienne (TMS) pour l’interpolation du twitch (Todd et al. 2003), la mesure de l’activation volontaire était évaluée par stimulation électrique du nerf moteur (Merton, 1954). La TMS présente l’avantage d’accéder aux cellules du cortex moteur chez l’homme éveillé et, ainsi, d’estimer l’activité dans les voies motoneuronales. Bien que l’effet de la TMS soit complexe (Petersen et al. 2003), la TMS ouvre une fenêtre pour l’évaluation du recrutement des fibres musculaires ; cependant, il reste nécessaire d’interpréter les résultats avec prudence.
Le nerf moteur du muscle tibialis anterior se trouve à proximité de la branche du nerf péronier commun, et une stimulation électrique visant à activer le muscle tibialis anterior peut activer les muscles péroniers (Gandevia & McKenzie, 1988) de sorte que l’interprétation de son rôle dans la production de couple autour de l’articulation de la cheville sera complexe. Ross et al. (2007) ont stimulé le nerf périphérique par stimulation magnétique, et il reste à établir comment ce stimulus inclut les diverses branches du nerf péronier commun.
L’avantage d’utiliser la TMS pour l’activation du muscle tibialis anterior est qu’il a un seuil bas et, surtout, un seuil plus bas que l’antagoniste (muscle soléaire). Cet aspect est important, surtout lorsque l’on évalue la force supplémentaire induite par le stimulus, par rapport à un effort volontaire. L’activation volontaire du muscle tibialis anterior était inférieure à 90 % de sa force induite par la SMT, ce qui est inférieur à ce qui a été constaté dans les études utilisant la stimulation électrique. Néanmoins, le marathon a réduit de manière significative la capacité d’activer le muscle à une performance maximale. Il convient de souligner que la fatigue centrale, mesurée par la technique d’interpolation des contractions, se rétablit rapidement après l’exercice (Gandevia et al. 1996). Néanmoins, Ross et al. (2007) ont trouvé une nette réduction de l’activation volontaire du tibialis anterior dans les 20 min après le marathon qui a disparu après 4 h, démontrant un changement dans la sortie corticale.
Bien que les résultats présentés soient impressionnants, les mécanismes sous-jacents au développement de la fatigue centrale ne sont pas élucidés. Il est tentant d’aborder de tels mécanismes possibles. L’activation du cerveau augmente le débit sanguin cérébral car le métabolisme neuronal est renforcé, comme l’expriment les taux métaboliques cérébraux de l’oxygène (CMRO2) et des glucides (CMRCHO). Une diminution du rapport entre CMRO2 et CMRCHO, qui est de ∼6 au repos, est une caractéristique de l’activation cérébrale, et un exercice intense augmente l’absorption de glucides par rapport à celle d’oxygène (Dalsgaard, 2006). Le rapport réduit entre CMRO2 et CMRCHO développé pendant l’exercice identifie l’exercice comme un puissant activateur du métabolisme cérébral et illustre le fait que l’exercice provoque une perturbation marquée du métabolisme cérébral. Si l’on considère que le cerveau a une faible capacité de métabolisme anaérobie, le sort du surplus d’hydrates de carbone pris pendant l’activation est très probablement qu’il est métabolisé, bien que la clairance de l’ammoniac puisse représenter environ 10% du surplus d’hydrates de carbone pris (Dalsgaard, 2006).
Pendant l’exercice, les muscles libèrent et le cerveau absorbe de l’ammoniac. Le cerveau n’a pas de cycle de l’urée efficace et dépend de la synthèse de la glutamine à partir du glutamate pour éliminer l’ammoniac. L’élimination de l’ammoniac peut réduire la concentration des neurotransmetteurs excitateurs que sont le glutamate et l’acide γ-aminobutyrique, et une telle perturbation pourrait sous-tendre le dysfonctionnement cérébral et la fatigue chronique dans les maladies hépatiques, ce qui suggère que l’ammoniac pourrait être un » agent fatiguant » pendant l’exercice (Nybo & Secher, 2004). Les systèmes sérotoninergiques et dopaminergiques présentent également un intérêt (Newsholme et al. 1987). La sérotonine joue un rôle dans l’éveil, la somnolence et l’humeur et, bien que la cinétique du métabolisme de la sérotonine ne puisse être évaluée par des différences artério-veineuses pour le cerveau, son précurseur, le tryptophane, peut fournir de telles informations. La dopamine est impliquée dans le contrôle du mouvement, et le métabolisme régional cérébral de la dopamine est augmenté pendant l’exercice chez les animaux. De même, la concentration artérielle de dopamine augmente au cours d’un exercice intense ; cependant, aucun changement dans la libération à travers le cerveau n’a été observé (Nybo & Secher, 2004).
L’illustration de la fatigue centrale comme un changement dans l’excitation corticale est un grand pas en avant. Cependant, les méthodes applicables, telles que la TMS, les différences artério-veineuses et les techniques d’imagerie, doivent être combinées afin de relier les changements de l’excitabilité corticale à ceux du métabolisme cérébral des glucides, des acides aminés et des neurotransmetteurs, ainsi qu’à la signalisation des métabolites et des hormones entre le cerveau et les muscles. La question est donc de savoir ce qu’est la poule et ce qu’est l’œuf. Par conséquent, pour élucider les relations de cause à effet, le travail descriptif doit passer à la physiologie expérimentale et aux études physiologiques intégratives impliquant des humains.