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Bien que la structure de l’ADN ne soit pas connue, les éléments de base de l’ADN étaient connus depuis de nombreuses années. Les éléments de base de l’ADN avaient été isolés et déterminés en cassant partiellement de l’ADN purifié. Ces études ont montré que l’ADN est composé de seulement quatre molécules de base appelées nucléotides, qui sont identiques sauf que chacune contient une base azotée différente. Chaque nucléotide contient un phosphate, un sucre (de type désoxyribose) et l’une des quatre bases (figure 8-4). Lorsque le groupe phosphate n’est pas présent, la base et le désoxyribose forment un nucléoside plutôt qu’un nucléotide. Les quatre bases sont l’adénine, la guanine, la cytosine et la thymine. Les noms chimiques complets des nucléotides sont désoxyadénosine5′-monophosphate (désoxyadénylate, ou dAMP), désoxyguanosine 5′-monophosphate(désoxyguanylate, ou dGMP), le 5′-monophosphate de désoxycytidine (désoxycytidylate, ordCMP), et le 5′-monophosphate de désoxythymidine (désoxythymidylate, ou dTMP). Cependant, il est plus pratique de se référer à chaque nucléotide par l’abréviation de sa base (A, G, C et T, respectivement). Deux des bases, l’adénine et la guanine, ont une structure similaire et sont appelées purines. Les deux autres bases, la cytosine et la thymine, sont également similaires et sont appelées pyrimidines.

Figure 8-4. Structure chimique des quatre nucléotides (deux avec des bases puriques et deux avec des bases pyrimidiques) qui sont les éléments fondamentaux de l'ADN.

Figure 8-4

Structure chimique des quatre nucléotides (deux avec des bases puriques et deux avec des bases pyrimidiques) qui sont les éléments fondamentaux de l’ADN.Le sucre est appelé désoxyribose parce qu’il est une variante d’un sucre commun, le ribose, qui possède un oxygène de plus (suite…)

Après que le rôle central de l’ADN dans l’hérédité soit devenu clair, de nombreux scientifiques ont entrepris de déterminer la structure exacte de l’ADN. Comment une molécule comportant un nombre aussi limité de composants différents peut-elle stocker la vaste gamme d’informations sur toutes les structures primaires protéiques de l’organisme vivant ? Les premiers à réussir à assembler les éléments constitutifs et à trouver une structure raisonnable de l’ADN – Watson et Crick en 1953 – ont travaillé à partir de deux types d’indices. Tout d’abord, Rosalind Franklin et Maurice Wilkins avaient rassemblé des données sur la structure de l’ADN par diffraction des rayons X. Dans ce type d’expérience, les rayons X sont utilisés pour déterminer la structure de l’ADN. Dans ces expériences, des rayons X sont envoyés sur des fibres d’ADN, et la diffusion des rayons à partir de la fibre est observée en les capturant sur un film photographique, où les rayons X produisent des taches. L’angle de diffusion représenté par chaque point sur le film donne des informations sur la position d’un atome ou de certains groupes d’atomes dans la molécule d’ADN. Cette procédure n’est pas simple à réaliser (ou à expliquer), et l’interprétation des taches est très difficile. Les données disponibles suggéraient que l’ADN est long et mince et qu’il possède deux parties similaires, parallèles l’une à l’autre et s’étendant sur toute la longueur de la molécule. Les données radiographiques montrent que la molécule est hélicoïdale (en forme de spirale). D’autres irrégularités étaient présentes dans les motifs de taches, mais personne n’avait encore pensé à une structure tridimensionnelle qui pourrait expliquer uniquement ces motifs de taches.

La deuxième série d’indices dont disposaient Watson et Crick provenait des travaux réalisés plusieurs années auparavant par Erwin Chargaff. En étudiant une grande sélection d’ADN provenant de différents organismes (tableau 8-1), Chargaffa établi certaines règles empiriques concernant les quantités de chaque composant de l’ADN :

Tableau 8-1. Propriétés molaires des bases* dans les ADN de diverses sources.

Tableau 8-1

Propriétés molaires des bases* dans les ADN de diverses sources.

La quantité totale de nucléotides pyrimidines (T + C) est toujours égale à la quantité totale de nucléotides purines (A + G).

La quantité de T est toujours égale à la quantité de A, et la quantité de C est toujours égale à la quantité de G. Mais la quantité de A + T n’est pas nécessairement égale à la quantité de G + C, comme on peut le voir dans la dernière colonne du tableau 8-1. Ce rapport varie selon les différents organismes.

Double hélice

La structure que Watson et Crick ont dérivée de ces indices est une double hélice, qui ressemble plutôt àdeux sommiers emboîtés. Chaque ressort de lit (hélice) est une chaîne de nucléotides maintenus ensemble par des liaisons phosphodiester, dans lesquelles un groupe phosphate forme un pont entre les groupes -OH de deux résidus de sucre adjacents. Les deux « sommiers » (hélices) sont maintenus ensemble par des liaisons hydrogène, dans lesquelles deux atomes électronégatifs « partagent » un proton, entre les bases. Les liaisons hydrogène se forment entre des atomes d’hydrogène ayant une petite charge positive et des atomes accepteurs ayant une petite charge négative. Par exemple,

Image ch8e1.jpg

Chaque atome d’hydrogène du groupe NH2 est légèrement positif (δ+) car l’atome d’azote a tendance à attirer les électrons de la liaison N-H, laissant ainsi l’atome d’hydrogène légèrement à court d’électrons. L’atome d’oxygène possède six électrons non liés dans son enveloppe extérieure, ce qui le rend légèrement négatif (δ -). Une liaison hydrogène se forme entre un H et le O.Les liaisons hydrogène sont assez faibles (seulement environ 3 % de la force d’une liaison chimique acovalente), mais cette faiblesse (comme nous le verrons) joue un rôle important dans la fonction de la molécule d’ADN dans l’hérédité. Un autre fait chimique important : la liaison hydrogène est beaucoup plus forte si les atomes participants sont « pointés les uns vers les autres » dans les orientations idéales.

Les liaisons hydrogène sont formées par des paires de bases et sont indiquées par des lignes pointillées dans la figure 8-5, qui montre une partie de cette structure appariée avec les hélices non enroulées. Chaque paire de bases est constituée d’une base purique et d’une base pyrimidique, appariées selon la règle suivante : G s’apparie avec C, et A s’apparie avec T. Dans l’illustration 8-6, une image simplifiée de l’enroulement, chacune des paires de bases est représentée par un « bâton » entre les « rubans », ou ce que l’on appelle les squelettes sucre-phosphate des chaînes. Dans la figure 8-5,notez que les deux squelettes s’étendent dans des directions opposées ; on dit donc qu’ils sontantiparallèles, et (pour des raisonsapparentes à la figure) l’un est appelé le brin 5′ → 3′ et l’autre le brin3′ → 5′.

Figure 8-5. La double hélice d'ADN, déroulée pour montrer les squelettes de sucre-phosphate (bleu) et les échelons de paires de bases (rouge).

Figure 8-5

La double hélice d’ADN, déroulée pour montrer les squelettes de sucre-phosphate(bleu) et les échelons de paires de bases (rouge). Les squelettes sont orientés dans des directions opposées ; les extrémités 5′ et 3′ sont nommées en fonction de l’orientation des atomes de carbone 5′ et 3′ (suite…)

Figure 8-6. Un modèle simplifié montrant la structure hélicoïdale de l'ADN.

Figure 8-6

Un modèle simplifié montrant la structure hélicoïdale de l’ADN. Les bâtonsreprésentent les paires de bases, et les rubans représentent les squelettes de sucre-phosphate des deux chaînes antiparallèles. Les différentes mesures sont données en angströms (1 Å = 0,1 (suite…)

La double hélice correspondait bien aux données des rayons X et s’accordait très bien avec les données de Chargaff. En étudiant les modèles qu’ils ont créés de la structure, Watson et Crick ont réalisé que le rayon observé de la double hélice (connu grâce aux données des rayons X) s’expliquerait si une base purique s’apparie toujours (par liaison hydrogène) avec une base pyrimidique (figure 8-7). Un tel appariement expliquerait la régularité (A + G) = (T + C) observée par Chargaff, mais il prédit quatre appariements possibles : T—A, T—G,C—A, et C—G. Les données de Chargaff, cependant, indiquent que T ne s’apparie qu’avec Aet C ne s’apparie qu’avec G. Watson et Crick ont montré que seuls ces deux appariements ont les formes complémentaires nécessaires de « serrure et clé » pour permettre une liaison hydrogène efficace (figure 8-8).

Figure 8-7. L'appariement des purines avec les pyrimidines explique exactement le diamètre de la double hélice de l'ADN déterminé à partir des données de radiographie.

Figure 8-7

L’appariement des purines avec les pyrimidines explique exactement le diamètre de la double hélice de l’ADN déterminé à partir des données de radiographie. (D’aprèsR. E. Dickerson, « The DNA Helix and How It Is Read ». Copyright ©1983 par Scientific American, Inc. (plus…)

Figure 8-8. Le verrouillage et la clé de liaison hydrogène entre A et T et entre G et C.

Figure 8-8

Le verrouillage et la clé de liaison hydrogène entre A et T et entre G et C. (De G. S. Stent, Molecular Biology of BacterialViruses. Copyright © 1963 par W. H. Freeman andCompany).

Notez que la paire G-C a trois liaisons hydrogène, alors que la paire A-T n’en a que deux. Nous pourrions prédire que l’ADN contenant de nombreuses paires G-C serait plus stable que l’ADN contenant de nombreuses paires A-T. En fait, cette prédiction est confirmée. La structure de l’ADN explique parfaitement les données de Chargaff (figure 8-9), et cette structure est cohérente avec les données des rayons X.

Figure 8-9. (a) Un modèle de remplissage d'espace de la double hélice d'ADN.

Figure 8-9

(a) Un modèle de remplissage d’espace de la double hélice d’ADN. (b) Une représentation déroulée d’un court tronçon de paires de nucléotides, montrant comment l’appariementA-T et G-C produit les rapports de Chargaff. Ce modèle est de l’une des plusieurs formes d’ADN, appelée (suite…)

Vue tridimensionnelle de la double hélice

En trois dimensions, les bases forment des structures plutôt plates, et ces bases plates s’empilent en partie les unes sur les autres dans la structure torsadée de la double hélice.Cet empilement de bases ajoute énormément à la stabilité de la molécule en excluant les molécules d’eau des espaces entre les paires de bases. (Ce phénomène ressemble beaucoup à la force stabilisatrice que l’on peut ressentir lorsque l’on serre deux plaques de verre l’une contre l’autre sous l’eau et que l’on essaie ensuite de les séparer.)Par la suite, on s’est rendu compte qu’il y avait deux formes d’ADN dans la fibre analysée par diffraction. La forme A est moins hydratée que la forme B et est plus compacte. On pense que la forme B de l’ADN est celle que l’on trouve le plus fréquemment dans les cellules vivantes.

L’empilement des paires de bases dans la double hélice entraîne deux sillons dans les squelettes de phosphate de sucre. Ces sillons sont appelés les sillons majeurs et mineurs et peuvent être facilement vus dans le modèle tridimensionnel de remplissage d’espace de la figure 8-9a.

Implications de la structure de l’ADN

L’élucidation de la structure de l’ADN a suscité beaucoup d’excitation en génétique (et dans tous les domaines de la biologie) pour deux raisons fondamentales. Premièrement, la structure suggère une manière évidente dont la molécule peut être dupliquée, ourépliquée, dans la mesure où chaque base peut spécifier sa base complémentaire par liaison hydrogène. Cette propriété essentielle d’une molécule génétique était jusqu’alors un mystère. Deuxièmement, la structure suggère que peut-être cette séquence de paires de nucléotides dans l’ADN dicte la séquence d’acides aminés dans la protéine organisée par ce gène. En d’autres termes, une sorte de code génétique peut écrire l’information dans l’ADN sous la forme d’une séquence de paires de nucléotides, puis la traduire dans un langage différent, celui des séquences d’acides aminés dans les protéines.

Ces informations de base sur l’ADN sont maintenant familières à presque tous ceux qui ont lu un manuel d’abiologie à l’école primaire ou au lycée, ou même des magazines et des journaux.Mais essayez de vous replacer dans la scène de 1953 et imaginez l’excitation.Jusque-là, la preuve que l’ADN sans intérêt était la molécule génétique avait été décevante et décourageante. Mais la structure Watson-Crick de l’ADN ouvre soudain la possibilité d’expliquer deux des plus grands « secrets » de la vie. James Watson a raconté l’histoire de cette découverte (de son propre point de vue, fortement remis en question par les autres participants) dans un livre fascinant intituléThe Double Helix, qui révèle l’interaction complexe entre les conflits de personnalités, les intuitions intelligentes, le travail acharné et la simple chance dans des avancées scientifiques aussi importantes.

Structures alternatives

En plus des formes A et B de l’ADN, une nouvelle forme a été découverte dans des cristaux d’ADN préparés synthétiquement qui contiennent des G et des C alternés sur le même brin. Cette forme d’ADN Z a un squelette en zigzag et génère une hélice gauche, alors que les ADN A et B forment des hélices droites.