« J’ai toujours pensé qu’il était normal de détester s’entendre parler, mais à un moment donné, vous réalisez que d’autres personnes ne pensent pas « J’ai envie de vomir » après s’être entendues parler », m’a dit Lilian Primrose.
Primrose, une programmeuse informatique de 30 ans, a commencé sa transition d’homme à femme en septembre 2017. Je l’ai rencontrée en février dans un café de Greenwich Village. Elle était assise en face de moi, se présentant fièrement comme son moi authentique et désireuse de parler de son parcours de transition de genre. Arborant un rouge à lèvres foncé et des cheveux bruns ondulés à longueur d’épaule, Primrose a expliqué qu’elle avait parcouru un long chemin depuis le garçon confus et isolé qu’elle était auparavant.
Elle m’a parlé avec enthousiasme des nombreux changements qu’elle avait vécus au cours de la dernière année et demie. En tant que femme trans moi-même, je comprenais le soulagement des traitements hormonaux qui adoucissaient sa peau, formaient ses seins et amincissaient ses poils corporels. Mais une chose n’avait pas changé : sa voix.
Son malaise avec sa voix a même entravé une étape très importante de sa transition. « Je repoussais les appels téléphoniques pendant des mois si je le pouvais », dit-elle. « Obtenir mon changement de nom légal a été principalement retardé par le fait que je ne voulais pas appeler le cabinet d’avocats. » Sa voix était un rappel de sa dysphorie de genre : un sentiment de déconnexion entre le sexe assigné et l’identité de genre.
Pour Primrose, comme pour d’autres femmes trans qui effectuent une transition après avoir enduré une puberté masculine, la testostérone a allongé et épaissi ses cordes vocales, approfondissant sa voix. Obtenir une voix plus haute peut être essentiel pour embrasser une identité féminine, elle a donc envisagé les deux options dont disposent les femmes trans comme elle : l’entraînement vocal, qui nécessite des séances hebdomadaires pendant des mois ou des années, et des milliers de dollars, ou la chirurgie de laryngoplastie féminisante, qui a gagné en popularité même si elle risque d’endommager de façon permanente les cordes vocales et est également coûteuse (la procédure varie de 5 000 à 10 000 dollars aux États-Unis).
La chirurgie des cordes vocales fournit simplement à un patient un nouvel instrument en diminuant l’extrémité inférieure de son registre vocal, mais elle ne lui apprend pas à l’utiliser efficacement. Si une femme trans subit une chirurgie des cordes vocales mais continue à parler avec les mêmes tendances vocales qu’avant, sa voix peut encore sonner plus masculine. C’est pourquoi, même pour les nombreux patients transgenres qui optent pour la chirurgie des cordes vocales, une thérapie vocale est généralement recommandée, et elle a fait ses preuves. L’année dernière, des chercheurs de l’université de New York ont comparé les voix de 12 femmes trans et de 19 hommes cisgenres. Les femmes transgenres ont d’abord produit des voix nominalement plus hautes que les hommes, mais la différence était négligeable. Après un entraînement, incluant la modification du mouvement de la bouche, les femmes trans étaient capables de produire des fréquences significativement plus élevées.
Ni l’entraînement de la voix ni la chirurgie ne sont généralement couverts par l’assurance médicale parce qu’ils sont considérés comme des processus électifs, ce qui fait de la capacité à soulager ce qui, pour de nombreuses femmes trans, est une source d’inconfort, un luxe accessible à seulement quelques-unes.
Mais une voix différente n’est pas seulement un luxe, c’est aussi un moyen de protection. Pour les femmes trans, la voix est souvent des fois l’indicateur le plus significatif de leur transidentité pour le monde extérieur. En 2018, les défenseurs de la cause LGBTQ ont recensé au moins 26 homicides de personnes trans aux États-Unis. Deux meurtres de femmes trans ont déjà été signalés en 2019. Pour les femmes trans, atteindre une voix féminine peut servir de manteau de protection contre les préjugés et le sectarisme.
Christie Block, orthophoniste au New York Speech & Voice Lab, garde cela à l’esprit. « La formation vocale peut aider les femmes transgenres à faire face à des situations où elles sont en danger », a déclaré Block. « Je travaille avec les clients pour leur montrer comment ils peuvent utiliser leur voix et ce qu’ils peuvent dire dans des situations dangereuses comme une tâche vocale réelle à pratiquer. »
Elle a commencé à travailler avec Primrose en février 2018. Block, qui travaille également avec des clients qui ont des problèmes vocaux tels que l’enrouement, la fatigue vocale et la voix faible. « Une leçon typique est la combinaison d’une leçon de chant, d’une séance de psychothérapie et d’une séance de physiothérapie », m’a dit Block. Pendant les séances, Block et Primrose discutent de ses progrès dans l’utilisation de sa voix entraînée dans la vie quotidienne, puis Primrose fait des échauffements vocaux comme des trilles de lèvres (souffler en laissant vibrer les lèvres) et des fredonnements pour aider à étirer les plis vocaux. Ensuite, Primrose lisait et récitait des phrases en utilisant sa voix féminine.
Block a enregistré la progression de Primrose en lui faisant lire ce qu’on appelle « le passage de l’arc-en-ciel » – un paragraphe développé par les orthophonistes, pour évaluer les nuances vocales car il contient de nombreuses combinaisons de sons que l’on retrouve dans la langue anglaise.
Tout au long de ma propre transition, je me suis souvent demandée si ma voix, plus grave que celle de la femme cisgenre typique, diminuait ma valeur en tant que femme. Les hormones et les modifications chirurgicales avaient féminisé mon extérieur, mais ma voix n’avait pas changé et était une source persistante de frustration et d’angoisse pour moi. Parfois, je ne souhaitais rien d’autre qu’une voix considérée comme » jolie » et » passable « , voulant changer tous les aspects de mon identité afin d’être à la hauteur de ce que la société attend des femmes : soumises, feutrées, sensuelles et féminines.
Avec le temps, j’ai réalisé qu’il n’y a pas une seule façon pour une femme de sonner. Block est d’accord. Elle dit qu’il n’y a pas de voix cible unique pour ses clients, et pas de nombre fixe de séances.
« Le concept d’une voix féminine idéale est quelque chose qui est associé au concept de femme idéale, cis ou trans », m’a dit Block. « Je pense que c’est très lié au sexisme et à ce que nous attendons des femmes. »
Comme moi, Primrose s’est éloignée de l’objectif de « passer » pour une femme cisgenre. Au lieu de cela, elle s’efforce d’atteindre une voix qui soit personnellement satisfaisante. « Je veux être la personne que je suis à l’aise d’être », a déclaré Primrose. « Je ne veux pas nécessairement avoir une voix aiguë parce que cela vous rapproche des femmes cis. Je ne me soucie pas de cela. Je n’ai pas honte d’être transgenre. C’est ce que je suis. C’est le parcours de ma vie. C’est mon identité. »
Lorsqu’elle a commencé sa formation vocale avec Block, Primrose a été confrontée aux premières frustrations. Elle a d’abord trouvé difficile d’atteindre une hauteur de voix plus élevée et sa voix se fatiguait facilement. Primrose s’est également sentie gênée de parler avec une nouvelle voix au début. « Au début, on se sent ridicule en faisant certains des exercices vocaux », a-t-elle déclaré. « Toute personne qui l’a déjà fait est très familière avec cela. »
Block dit qu’il est commun pour les femmes trans de se sentir timides ou conscientes de soi au début. La formation vocale est un processus extrêmement intime et la voix des femmes trans est souvent chargée de sentiments d’inadéquation et d’altérité. Selon Mme Block, il est important d’instaurer un climat de confiance avec chaque cliente afin qu’elle se sente aussi à l’aise que possible pendant les exercices. Elle a développé des méthodes pour mettre ses clients à l’aise.
« Je fais moi-même l’idiote », dit Block en riant. « Cela vient très naturellement. Personne ne rechigne à le faire du tout, sinon ils ne viendraient pas. Mais il y a des gens qui ne peuvent pas encore le faire avec moi ». D’autres ont peur des murs fins de leur appartement et ne s’entraînent donc pas chez eux. Block a récemment travaillé avec deux personnes qui font des exercices dans leur voiture.
Selon Block, chaque femme trans a ses propres restrictions respectives en fonction de sa physiologie. Afin d’obtenir les meilleurs résultats, féminiser sa voix implique de désapprendre toute une vie d’habitudes et de tendances et d’adopter des stratégies entièrement nouvelles.
« Lorsque quelqu’un travaille sur sa voix, il est limité par ce que son mécanisme vocal peut faire pour lui », a déclaré Block. « En gros, nous jouons différemment de l’instrument vocal, mais nous ne changeons pas son anatomie. Nous allons seulement pouvoir aider cette personne à réaliser sa voix individuelle avec les compétences corporelles et comportementales qu’elle possède. »
La structure vocale d’une femme trans reste anatomiquement masculine sans intervention chirurgicale, ce qui signifie qu’une altération vocale persistante peut être très exigeante.
Durant sa première semaine à parler dans un registre plus élevé, Primrose a trop sollicité sa voix. « Ça craignait pour le reste de ma première semaine de sortie », dit-elle en laissant échapper un soupir de frustration. « J’y allais trop fort, trop vite, en essayant de maintenir une voix de femme pendant trop longtemps. Vous voulez que tout soit prêt et fonctionne immédiatement, mais la voix est l’une de ces choses, un peu comme les hormones dans ce sens où il faut juste du temps et vous ne pouvez pas le faire aller plus vite. »
Alors que Primrose a continué ses séances avec Block, elle a progressivement appris à élever la hauteur de sa voix sans mettre des quantités excessives de stress sur ses cordes vocales. Elle a également commencé à se concentrer sur d’autres aspects de sa voix qui la gênaient, comme ses schémas de respiration et son style de parole. Primrose a déclaré que c’est une idée fausse que la seule partie de la féminisation de votre voix est d’élever votre hauteur de voix.
Le processus de féminisation de la voix se concentre également sur le fait de permettre aux patients de parler de manière plus fluide. La tendance de Primrose, qui s’est développée à travers son éducation masculine, était de parler dans un style plus staccato, ce qui est typiquement associé aux modèles d’élocution masculins. Elle travaille maintenant activement à parler d’une manière plus fluide, permettant aux mots et aux phrases de s’enchaîner doucement.
Primrose consulte Block pour une thérapie vocale de façon intermittente depuis environ un an. Sa voix est progressivement devenue de plus en plus féminine au fur et à mesure qu’elle a continué à faire ses exercices. La progression de sa voix a été graduelle et subtile. Primrose a réalisé à quel point sa voix avait changé lorsqu’elle a récemment appelé sa banque pour mettre à jour les informations sur ses cartes de crédit. Elle dit que c’était la première fois qu’elle était correctement genrée au téléphone par quelqu’un qui ne la connaissait pas et qui n’était pas au courant de son identité trans.
« C’était vraiment bien », a-t-elle dit.
Pendant toute sa transition, Primrose dit qu’elle avait l’impression d’avoir personnellement échoué chaque fois que quelqu’un la genrait mal ou se référait à elle par des pronoms masculins. Elle avait l’impression d’avoir fait une erreur et de ne pas représenter authentiquement son identité féminine, une frustration qui a résonné en moi. Mais avec sa formation vocale, Primrose a fait l’expérience de moins en moins d’erreurs de genre, ce qui est un soulagement bienvenu.
« Avant la formation vocale, j’avais toujours l’impression de tenir les gens à bout de bras », dit-elle. « J’ai maintenant plus de confiance et je suis plus extraverti. J’aime rencontrer des gens et parler aux gens et me sentir suffisamment bien pour tendre la main et me connecter avec les gens d’une manière plus profonde. »
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